Méprisée à sa sortie, aujourd’hui oubliée, l’AXEL avait pourtant toutes les qualités d’une authentique Citroën d’avant la reprise par Peugeot, dans la lignée des GS et CX.
L’histoire commence après un échec industriel d’anthologie, dont je vous parlerai dans un prochain article, celui du projet F, qui devait couvrir toute la gamme intermédiaire entre la 2CV et la DS. Après l’abandon de cette berline moyenne, au seuil de son industrialisation, Citroën lance à la fin des années 60 deux projets pour renouveler toute son entrée de gamme : le projet G, destiné à remplacer l’AMI (qui donnera naissance à la GS), puis le projet Y en 1968, destiné à remplacer la 2CV, dont la carrière a déjà duré… 20 ans !
Le projet Y
A la même époque, Fiat achète à Michelin — propriétaire de Citroën depuis 1935 — une partie des actions de la marque, par le biais d’une holding. Citroën profite par conséquent de la synergie avec le spécialiste des petites voitures économiques, pour concevoir son nouveau modèle sur la base d’une Fiat 127 rallongée. Le prototype, vraiment moderne pour l’époque, dispose de quatre portes et d’un hayon, ainsi que d’un moteur transversal avec boîte de vitesse en bout. Longueur 3,20m, soit plus petite que la 2CV qui fait 3,83m.
Mais lorsque Michelin déclare son intention de liquider le reste de sa participation dans Citroën, et Fiat de disposer de l’appareil de production, l’Etat Français, qui tient à conserver une industrie automobile nationale, ne l’entend pas de cette oreille : il oppose son véto. Michelin se retrouve à nouveau seul propriétaire de Citroën en 1973. Le projet Y sur base Fiat est par conséquent abandonné.
Le projet TA
Le lancement réussi de la GS laisse désormais un vide plus grand en entrée de gamme : la définition technique la plus simple du projet F, équipée comme l’AMI du moteur bicylindre à plat et de suspensions conventionnelles, n’a pas été repris sur la GS. Dès 1974, le bureau d’études repart d’une page blanche pour concevoir rapidement un nouveau modèle d’entrée de gamme, plus proche de l’Ami, tout en restant plus compacte qu’une GS. Le projet TA mesure 3,72m : c’est 24cm de moins qu’une Ami 8, mais aussi 14 de moins qu’une 2 CV.
La TA est fondée sur une base technique intermédiaire entre la GS, sortie en 1970 et l’AMI : mêmes moteurs « boxer » à cylindres à plat, opposés deux à deux, disposés longitudinalement et refroidis par air. D’une part le bicylindre de l’Ami 8, lui-même issu de la 2CV. D’autre part le 4-cylindres à plat de la première GS, qui faisait déjà les beaux jours de l’Ami Super. Comme la Y, sa carrosserie est dotée d’un hayon qui descend jusqu’au pare-choc, d’un plancher plat et d’une banquette rabattable comme la 2 CV et l’AMI. Mais la TA reste techniquement beaucoup plus simple qu’une GS, puisqu’elle n’embarque pas d’hydraulique.
Mais au même moment, Citroën entre dans une zone de turbulences industrielles : l’échec du projet F, les coût des investissements pour concevoir et produire les GS, CX et le moteur rotatif, combinés aux conséquences du premier choc pétrolier, créent un trou de 500 millions de francs dans la caisse, qui menace de doubler avant la fin 1974. Et ce malgré le succès de la GS et les début prometteurs de la CX. Devant une faillite assurée, Michelin revend sa part de Citroën à Peugeot, avec la complicité de l’Etat.
La VISA
Ce rachat aura plusieurs conséquences majeures : Peugeot se trouvant à la tête de dettes faramineuses, il se doit de couper toutes les branches mortes au plus vite, s’il ne veut pas être entraîné dans le gouffre. Exit la SM et le moteur rotatif, mais le projet TA est également abandonné sous sa forme initiale. Les études reprendront sur la base technique d’une 104, de manière à amortir les surcoûts laissés par Renault dans le projet du moteur X, partagé avec la R14. De ce nouveau projet VD, très similaire en apparence, mais profondément différent techniquement (une sorte de 104 recarossée, avec des moteurs d’AMI en entrée de gamme), naîtra en 1978 la VISA.
Entre une TA et une VISA, les différences de cotes sont de l’ordre de quelques millimètres seulement. On peut dire qu’elles sont quasiment identiques, sauf l’empattement, plus long de 6,6cm sur la VISA, car fondé sur le châssis de la 104, pour le plus grand bénéfice des passagers arrières.
On remarque que la VISA reprend le pied-milieu de la maquette TA et la forme de sa portière arrière, ce qui permet de cintrer les entourages de vitres au lieu de les souder en trois parties. Toute la face arrière a été également repensée : le jonc chromé qui masque la soudure saillante autour du hayon de la TA a disparu, ce qui implique un assemblage encastré dans la caisse. Mais le modelé de la carrosserie se rapproche plutôt du prototype roulant, plus simple à produire. On remarque le très beau travail de découpe des ouvrants, parallèle au pare-brise, qui suggère un basculement dynamique vers l’arrière, un thème très répandu chez Citroën.
L’OLTCIT
Mais ce n’est pas tout à fait la fin du projet TA. En effet, le nouveau patron de Citroën, Georges Taylor, est né en Roumanie. Il se trouve qu’à la même époque, le « Génie des Carpates » Nicolae Ceausescu, envisage de doter son pays d’une seconde marque automobile, parallèlement à DACIA lancée avec l’aide de Renault. Georges Taylor réussit à convaincre Peugeot de vendre le projet abouti et l’outillage de production de la TA aux Roumains et de se faire payer une partie du contrat en réimportant une fraction de la production. Un accord est signé en 1976 pour la construction d’une usine à Craiova en Olténie, chargée de produire un véhicule issu de la TA au rythme (jamais atteint…) de 130 000 unités par an, dont 50% doivent être réimportées sous la marque Citroën et 50% vendues à l’est sous la marque OLTCIT, contraction d’Olténie et Citroën. Citroën détiendra 36% de cette joint-venture.
L’OLTCIT est une TA qui a poursuivi son évolution : la carrosserie est strictement identique, mais elle perd deux portes pour réduire son prix et voit sa garde au sol augmentée, pour rouler sans encombre sur le très mauvais réseau routier roumain. Sous le capot, au bicylindre des AMI et au 1015 cm3 des premières GS, on ajoute le 1300 cm3 des GSX3 et des GSA, un peu plus puissant. A l’intérieur, l’OTCIT se voit offrir un tableau de bord beaucoup plus moderne et original, inspiré de celui des VISA et GSA. L’OLTCIT sera produite et vendue en roumanie pendant… 14 ans ! Une durée d’exploitation conforme aux standards des Citroën, très en avance sur leur temps pour pouvoir être amorties pendant longtemps.
L’AXEL
L’AXEL est une OLTCIT un peu mieux finie : elle a troqué ses pare-chocs contre des boucliers en résine, ses chromes ont été peints en noir, comme dans le reste de la gamme Citroën, et les versions haut-de-gamme reçoivent des protection latérales, très à la mode au milieu des années 80. Ainsi que des pneus Michelin TRX, sur jantes millimétriques de VISA. Ils étaient 4 fois plus chers que les pneus à cotes anglaises, qui sont la norme dans l’automobile. Ils ne pouvaient par conséquent être remplacés par aucune autre enveloppe existant sur le marché ! Les pneus d’origine roumaine des autres AXEL étaient trop rigides, ce qui nuisait au confort de la voiture, pourtant une de ses qualités majeures.
Le garnissage intérieur, sans doute conçu dans les années 70 et produit tel-quel pour l’OLTCIT, paraît complètement ringard dans les années 80… Pour l’AXEL il est remplacé par un tissus gris, plus passe-partout.
UNE TECHNIQUE EXCEPTIONNELLE POUR DES PRESTATIONS COURANTES
Comme sur la plupart des Citroën, le châssis est hors du commun. On retrouve en effet sur cette petite voiture les solutions techniques de la GS. La suspension avant est du type Mc Pherson avec une double triangulation, mais il y a en plus deux longues barres de torsion longitudinales et une barre de flexion transversale, implantée sous les sièges avant et faisant office de barre anti-roulis. La suspension est fixée à la coque par des silent-blocs en caoutchouc et a la particularité d’avoir de très grands débattements, ce qui la rend capable d’absorber les grandes déformations de la chaussée, et aussi de passer sur les trous et bosses sans les répercuter sur la caisse. Un atout déterminant pour l’OTCIT, amenée à circuler sur de mauvais chemins, qui offre un confort très appréciable pour l’AXEL.
Le principe du train arrière est identique à celui de la GS et de la CX : il est à la fois simple, très efficace et il se glisse sous le plancher pour dégager au maximum le coffre. Il se compose d’un essieu en U, ouvert vers l’arrière, dont la barre de torsion transversale joue le rôle de barre anti-roulis. Comme celui de l’avant, le train arrière est assemblé à la caisse par des silent-blocs, ce qui n’empêche pas les chocs de suspension sur mauvais revêtements. La faute sans doute à un mauvais tarage des amortisseurs, qui sont disposés à l’horizontale, ce qui libère de l’espace dans le coffre. L’ensemble est capable de braquages induits grâce à deux roulements. La suspension a également de grands débattements et la particularité de durcir avec la charge. Une solutions technique qui sera reprise sur de nombreuses voitures, mais beaucoup plus tard, dans les années 80 et 90. Il préfigure notamment le train arrière de la 205, du break 305, de la 405 ou de la BX. Comme sur toutes les Citroën de cette époque, le confort et la tenue de route surclassent largement ce qui se fait chez les concurrents et la direction est totalement insensible à l’état de la route.
Le freinage est également exceptionnel, puisqu’il est assuré par 4 disques, dont ceux de l’avant sont ventilés et disposés en sortie de boîte de vitesse, pour limiter les masses non-suspendues. Mais faute de servo-frein, cette débauche technique freine moins bien qu’un équipement classique, disques à l’avant, tambours à l’arrière : à quoi bon ?
La planche de bord est due à Michel Armand, qui a conçu également celle de la CX. Il reprend une nouvelle fois le principe des « satellites de conduite », déjà expérimentés sur la CX, la VISA et la GSA. Cette fois-ci, les cylindres déjà vus sur les deux dernières sont disposés à l’horizontale. Ils se présentent comme deux énormes commodos et s’avèrent parfaitement opérationnels, car ils fonctionnent comme eux : on pousse sur l’extrémité, on appuie sur le dessus et on tourne l’extrémité. Le conducteur moyen n’a plus besoin de changer ses gestes habituels. L’ensemble est complété par des quantités de voyants qui permettent de contrôler le fonctionnement de l’ensemble de la voiture : bien plus que dans toutes ses concurrentes. Compteurs, compte-tour et jauge sont surmontés d’une rangée de boutons… inaccessibles, sauf à passer au travers du volant ! Qui n’a, fort heureusement, qu’une seule branche, comme sur toute Citroën qui se respecte. Malheureusement ce dernier est beaucoup trop horizontal, ce qui rend la position de conduite fatigante.
DECALÉE
Les roumains mettront cinq ans à produire l’OLTCIT, qui sort en 1982, mais l’AXEL n’arrive en France qu’en 1984, alors que la VISA est déjà sortie depuis six ans. Sur le marché français, on trouve par conséquent deux filles d’un même programme, très similaires en apparence, mais qui ont pourtant une génération de décalage ! De surcroît, entre les deux, le marché français d’entrée de gamme a complètement changé de tournure, notamment avec la sortie de la 205 en 1982. Par leurs qualités routières, l’usage des petites voitures ne se limite plus à la ville : elles deviennent beaucoup plus polyvalentes. La VISA avec ses quatre portes et son moteur de Peugeot 104 est plus à même de jouer ce rôle que l’AXEL, qui n’a que deux portes et dont le moteur est bruyant par conception, tout particulièrement dans ce modèle mal insonorisé. Mais le coup fatal viendra de l’AX, la remplaçante de la VISA : elle ne sortira qu’en 1986, mais le prototype a déjà fuité dès 1984, en même temps que la sortie de l’AXEL ! Celle-ci paraît complètement décalée dans la gamme Citroën et même les commerciaux rechignent à la vendre, à cause des marges trop faibles.
Sa seule raison d’être est de constituer une sorte de voiture d’entrée de gamme, moins chère que toutes les autres, y compris la VISA. En somme une sorte de LADA, en moins naze, si possible… Mais la clientèle de ce genre de produit n’a que faire des sophistications techniques et esthétiques de l’AXEL, comme son tableau de bord atypique ou ses pneus TRX, imaginées pour épater le client des années 70, mais qui apparaissent déjà ringardes dans les années 80… La preuve s’en trouve sur sa face avant : l’AXEL est sans doute la dernière voiture sortie avec un trou dans la carrosserie pour la démarrer… avec la manivelle du cric, comme une 2 CV ou une R4 ! L’AXEL n’est malheureusement pas une offre basique comme la Lada NIVA ou la FIAT Panda. Pour une voiture d’entrée de gamme, l’AXEL a un gros défaut : son moteur « boxer », conçu avant le premier choc pétrolier, consomme un gros litre de plus que ses concurrents à cylindres en ligne. Et comme il faut aller chercher sa puissance dans les tours, le fonctionnement courant du moteur finit par coûter cher !
En plus d’être complètement décalée, l’AXEL pâtit, comme toutes les voitures de l’Est, d’une fabrication médiocre, ceci malgré des contrôles qualité du même type qu’en France. En effet, 40 % des composants de la voiture sont fabriqués en Roumanie, plus ou moins bien : les pneus de la roue de secours éclatent, la peinture appliquée sur les chromes s’écaille rapidement, les sièges s’affaissent, les protections latérales se décrochent, certaines voitures perdent des pièces mal fixées d’origine, les boîtes de vitesse grincent, les caoutchoucs des ouvrants sont mal posés, les plaquettes de freins s’usent trop vite et les « rossignols » abondent. Même le 4 cylindre à plat, pourtant réputé pour sa fiabilité sur la GS, présentait des signes de faiblesse à de très faibles kilométrages, quand il était produit en Roumanie. Une large partie des voitures produites ne passe pas les tests qualité et doivent être corrigées directement en sortie d’usine ; certaines sont même transportées en France avec leurs pièces de rechange à monter en concession !
Enfin, si la VISA a été tant décriée pour son « groin » à l’avant, sa cousine issue de germaine l’AXEL n’est guère mieux lotie : pas de museau proéminent, mais un arrière mal fichu, hérité de la TA, que la VISA s’appliquera à corriger avec une tôlerie plus raffinée. Face à des rivales plus sympathiques (la R5, par exemple) ou dessinées comme des voitures du segment supérieur (la 205), l’AXEL a l’allure d’un vilain petit canard et réussit à déplaire autant que la VISA…
L’AXEL se vend difficilement en France, les roumains s’avèrent incapable de produire la voiture à la cadence prévue et dans le respect des normes de qualité de Citroën, si bien que l’affaire n’a jamais été rentable, loin de là : chaque AXEL ou OLTCIT qui tombait des chaîne coûtait l’équivalent de 10.000 francs à la co-entreprise, soit environ le quart de sa valeur vénale ! A la même époque, la Supercinq faisait aussi mal avec la Régie Renault… En 1988, Citroën jette l’éponge après cinq années de production de l’AXEL, mais OLTCIT continue seul à produire la version roumaine jusqu’en 1995 ! Près de 215.000 voitures, dont seulement 60.000 AXEL, seront sorties de l’usine de Craïova. L’échec des projets F et TA, puis le bide commercial des VISA et AXEL, plomberont les comptes de Citroën pour des années. C’est le succès de la GS, de la CX et surtout celui de la BX, une vraie voiture de conquête, qui sauveront définitivement la marque.