Conçue à toute vitesse, sans ordinateur, ni management de projet, la GS est pourtant une excellente voiture. Il lui a néanmoins manqué quelques mois de mise au point : ce sont les premiers clients qui en ont fait les frais, comme aujourd’hui dans l’informatique. Problèmes de moteur, de boîte de vitesse et finition imparfaite, donneront à la GS une réputation de voiture mal construite, qui lui collera toute sa vie, à tort
Les conséquences des choix techniques
Avec sa carrosserie futuriste, son contenu technique sans comparaison à ce niveau de gamme, la GS est une berline d’exception. Son équipement relativement généreux, son confort royal, sa tenue de route exceptionnelle et sa douceur de fonctionnement, la situent tout en haut de son segment de marché, mais sur un créneau commercial de grande diffusion : aujourd’hui on parlerait de voiture « premium ». Sauf que le choix mécanique qui avait été fait pour motoriser cet ensemble exceptionnel n’est pas à la hauteur du reste de ses prestations : il est seulement le fruit des nécessités. En effet, faute de disposer d’une vraie voiture moyenne dans sa gamme, Citroën n’avait pas de moteur intermédiaire dans sa « banque d’organes ». Au moment d’industrialiser le projet F, c’est le 4 cylindres à plat de la C60 qui fut retenu pour équiper le cœur de sa gamme et la GS en a simplement hérité. 1015 cm3, 55 CV et 7,2 mkg de couple suffisaient pour la F, la GS pouvait s’en contenter dans un premier temps grâce à sa finesse aérodynamique, comme la DS s’est contentée toute sa carrière de moteurs issus de la Traction.
Mais c’est là que pêche la voiture : l’acheteur qui est prêt à payer sa berline de grande diffusion au-dessus du prix moyen du marché, car il est sensible à la technique proposée, est-il prêt à rouler, comme les autres « français moyens », dans une auto relativement sous-motorisée ? Réponse : non. Outre la fiabilité aléatoire de ses débuts, c’est donc sa faible motorisation qui sera reprochée à la GS toute sa carrière. Et de fait, pendant sa trop longue carrière (16 ans ! ), la GS sera achetée surtout par des personnes relativement âgées, très comme-il-faut, sensibles avant tout au confort royal de l’auto, plus qu’à ses performances. Ce qui nuira gravement et durablement à l’image de marque de la GS (qualifiée de voiture de papy), comme à celle de Citroën !
Nulle part la double personnalité de la GS X n’a été mieux exprimée que dans cette pub démente, impensable au XXIième siècle : tel Dr Jekill et Mr. Hyde, la berline placide, très confortable pour un usage familial et quotidien, se transforme en une redoutable sportive de départementale, dès qu’on attaque !
Pourtant, l’excellence du châssis, qui, au-delà d’être équilibré, est de surcroît efficace, permet d’envisager sérieusement une conduite plus dynamique, voire sportive. En plus de s’adresser à une clientèle aisée et distinguée, la GS aurait pu par conséquent séduire aussi les conducteurs sportifs ! Mais avec 1015 cm3, 55 CV et 7,2 mkg de couple, c’est difficile… La définition mécanique de la GS évoluera heureusement très vite : deux ans après sa sortie, elle sera équipée d’un moteur de 1220 cm3, pas plus puissant mais plus dynamique, qui éclipsera rapidement la version 1015 cm3. Et deux ans plus tard sort la GS X2 avec une finition sportive et le même moteur, poussé à… 65 CV. Le développement s’arrêtera avec un 1300 cm3, monté sur la GSA X3 : pas plus puissant mais toujours plus généreux en couple. En effet, le moteur G avait été initialement conçu par l’ingénieur Dupin pour équiper les versions d’entrée et de milieu de gamme de la F, et par conséquent, pour avoir une cylindrée de 1000 cm3 maximum. En rognant sur l’alésage et augmentant la course au maximum, il n’était pas possible d’aller au-delà de 1300 cm3. Quel dommage que la GS n’ait pas reçu le 4 cylindres Boxer 1,7l. 95 CV du prototype L, pourtant au point dès la sortie de la GS en 1971, mais dont l’industrialisation n’était absolument pas rentable ! L’Alfasud, sa contemporaine, qui lui ressemble beaucoup par son design, ses moteurs « boxer » et sa boîte de vitesse à freins embarqués, aura des développements bien plus puissants : de 63 à 95ch, ce qui change tout. Mais c’est une Alfa, donc une sportive dans l’âme…
Birotor : l’hyper-GS
Outre le 4-cylindres à plat de l’ingénieur Dupin, l’autre composant technique qui a pu être sauvée du projet F c’est son moteur rotatif. Et pour cause : dès 1967, Citroën avait créé Comotor, une filiale commune avec la marque allemande NSU, destinée à le produire en grande série. Chez Citroën, le plus petit modèle, à un seul rotor, devait équiper le projet « F », avec une puissance comparable au Boxer 1015 cm3.
Le modèle supérieur, un birotor de 100ch, a été produit dans une usine construite spécialement pour lui en Allemagne, et installé dès 1967 sous le capot de la NSU Ro80. Une très belle « Voiture de l’Année », dont l’échec technique et commercial entrainera NSU dans la tombe. La marque sera rachetée par Volkswagen en 1969 et fusionnée à Audi. Volkswagen abandonnera immédiatement le développement du Comotor, laissant Citroën seul avec cet investissement.
Pour fiabiliser le Comotor, Citroën a lancé en 1970, l’année de la sortie de la GS, « l’opération M35 ». Sous ce nom de code d’agent secret se cache une idée d’ingénieurs, typique de la marque : Citroën a produit une flotte de coûteux prototypes, industrialisés dans les Deux-Sèvres chez Heuliez et confiés dès 1970 à 267 très gros rouleurs (30 000 km par an).
Vidéo d’époque expliquant le fonctionnement du moteur rotatif et présentant sa fabrication dans l’usine Comotor. On y voit notamment le prototype M35 à 5’36.
Sur un châssis d’AMI 8 ont été installés le COMOTOR dans sa version monorotor de 49ch, la boîte 4 vitesses de la GS et ses freins à disque embarqués en sortie de boîte, ainsi que les suspensions à batteurs de l’AMI, assistées par l’hydropneumatique de la GS, tout ça sous une carrosserie d’AMI 8 en version coupé. A la fin de la période d’essai, toutes les M35 devaient être récupérées par la marque et détruites. Mais un petit quart des attributaires refusèrent de rendre leur M35, ce qui n’est pas anodin : ces gros rouleurs exigeants s’étaient attachés à cette Citroën originale et exclusive, au point de la conserver, malgré sa fiabilité aléatoire et sa gloutonnerie, mais certainement à cause de ses qualités fondamentales ! Preuve que la base était bonne malgré tout.
Les résultat de l’opération M35 n’étant pas à la hauteur d’une production de grande série, il n’étais pas envisageable de l’installer tel quel dans la GS. De plus, le monorotor de 49ch ne présentait aucune plus-value par rapport au 4-cylindres « boxer » dans sa version de lancement à 1015 cm3. Cependant, Citroën développait au même moment le projet L, une berline routière qui devait être motorisé par le Comotor en version à 2 voire 3 rotors. Comme pour la GS, faisant le constat de l’imperfection du moteur, le projet L a été remotorisé dès le début des années 70 avec le vieux moulin de la DS, pour donner la CX. Les finances de Citroën, surchargées par ce nouveau projet, le rachat de Maserati pour motoriser la SM et l’abandon du projet F, ne pouvaient pas passer Comotor par pertes et profits. C’est la raison pour laquelle le programme GZ fut transformé dès 1973 en une sorte de nouvelle opération M35, destinée à tester les dessous d’une CX à moteur rotatif : c’est la GS Birotor.
Une GS Birotor, reconnaissable à son pavillon en vinyle et ses passages de roues proéminents, laissant tout juste de la place pour ses roues de CX
Le châssis, pourtant excellent sur la GS, a été remplacé par les trains de la future CX et leurs freins à disques assistés pneumatiquement, ses roues et ce qui aurait dû être sa mécanique (birotor + convertisseur de couple). Leur greffe sur une caisse de GS tient du bricolage : le silencieux d’échappement est rejeté sous le pare-choc arrière, faute de place ailleurs et les voies beaucoup plus larges nécessiteront de faire emboutir chez HEULIEZ des ailes et un berceau avant spécifique.
Avec la Birotor, la GS entre dans un autre monde, celui de la gamme au-dessus : 107 CV, soit le double de la puissance des autres GS et deux fois plus de couple, un silence et une douceur de fonctionnement dignes du segment supérieur, dus à la combinaison du moteur rotatif et du convertisseur de couple et des trains roulants conçus pour encaisser une puissance encore supérieure. L’ensemble transmute la GS en une épatante berline de Grand Tourisme, vendue au prix d’une DS haut-de-gamme, et qui tient la dragée haute à toutes ses concurrentes !
Ce qu’aurait pu être la GZ : une GS carrossée en coupé, avec de faux airs de SM. Maquette de 1971, exposée au Conservatoire Citroën.
Plus rien à voir avec la GS et c’est justement là le problème : une véritable GZ, avec une carrosserie plus exclusive (comme cela avait été imaginé initialement) et une technique plus fiable, aurait certainement fait sensation, comme la SM. Le bricolage de luxe de la GS en pseudo GZ, donnera une voiture certes excellente, mais encore plus décalée, car beaucoup trop chère à l’achat, gloutonne à l’heure de la crise pétrolière et d’un entretien encore plus problématique ! La Birotor fut un tel échec technique et commercial qu’elle fut retirée prestement du catalogue et celles qui roulaient furent discrètement échangées contre des CX à prix cassé ! Le stock fut détruit et seuls quelques passionnés conservèrent ce « machin » roulant, ce qui permet de circuler encore aujourd’hui dans une étonnante voiture d’exception !
Un petit tour en GS Birotor sur les routes du Finistère, juste pour le plaisir d’entendre le son si particulier du moteur rotatif !
Le développement de la gamme GS
Parallèlement au développement sportif, les mêmes moteurs les plus puissants seront réservés à un développement de la gamme vers le haut, avec la version Pallas, destinée à une clientèle aisée. En effet, la GS est une voiture valorisante par sa technique de pointe et son esthétique à la fois futuriste et raffinée. La gamme GS se composera par conséquent de versions sportives (X et X2) et de versions classiques (club et Pallas), consacrant l’ambivalence de sa personnalité.
Cette jeune personne, habillée avec la liberté qui caractérisait les années 70, a choisi de se rendre à la Grande Cascade, le resto huppé du Bois de Boulogne, en GS Service, un étonnant break de chasse, aussi follement original et élégant que son micro-twin-set…
En 1979, la GS cède sa place à la GSA (pour Améliorée, dans le jargon Citroën) : un restyling aussi tardif qu’approfondi apporte notamment le hayon qui manquait à la GS pour faire face à ses concurrentes. En effet, dès sa conception, le Président de Citroën s’est opposé à une cinquième porte pour deux bonnes raisons : tout d’abord, la présence d’un hayon ouvrait grand l’arrière de la voiture, ce qui la rapprochait d’un break et par conséquent renvoyait à un usage utilitaire, incompatible avec un positionnement haut-de-gamme. Ensuite l’échec du projet F, causé par sa mauvaise tenue de route, tenait non seulement à la conception de ses trains roulants, mais aussi au manque de rigidité de sa caisse, en raison de cette fameuse cinquième porte : ce qui fonctionnait aisément sur une 2Cv largement sous-motorisée, n’était pas aussi évident sur une berline rapide. Pas de hayon sur la GS, et sur sa grande sœur la CX non plus : à la place un simple volet, ouvrant sur un coffre très profond, ce qui n’était vraiment pas commode pour récupérer des petits objets tout au fond. Les clients souhaitant plus de fonctionnalité, pouvaient se tourner vers la version break, aussi soigneusement dessinée, aussi luxueusement traitée et aussi bien motorisée que la berline.
Une très jolie idée de créatif publicitaire, mettant en valeur les exceptionnelles qualités de tenue de route et de confort de la suspension de la GS, dignes d’une voiture de luxe !
Les pare-chocs chromés sont remplacés par des éléments en plastique, très solides et faciles à remplacer par morceaux en cas de petits chocs. Spoiler à l’avant et becquet à l’arrière affinent encore l’aérodynamique, qui atteint une valeur exceptionnelle pour l’époque : SCx de 0,575 obtenu sans carénage du moteur, ni glaces affleurantes. La GS gagne en efficacité ce qu’elle perd en élégance et en distinction, pour essayer de rajeunir son image avant l’arrivée de la BX.
Outre son hayon, l’aspect le plus important de la GSA c’est son tableau de bord délirant : Michel Harmand poursuit son travail de réinvention du poste de conduite, à la fois futuriste et fonctionnaliste. Comme sur la CX, les compteurs à aiguilles ont été remplacés par des cadrans rotatifs, semblant baigner dans une huile fluorescente. Les commodos ont également disparu : à la place, on retrouve à gauche le module PRN (pluie-nuit-route) de la VISA et à droite un module symétrique regroupant tous les interrupteurs. C’est très fonctionnel : on pianote là-dessus du bout des doigts, sans lâcher le volant, mais il faut abandonner tous les réflexes qu’on avait acquis depuis l’apprentissage de la conduite à l’auto-école !