La Civic VIII est une de mes voitures préférées, car son design futuriste et complètement décalé évoque ce qu’aurait pu être l’automobile en ce début de XXIème siècle. Hélas, pour l’instant le marché en a décidé autrement : la clientèle achète des SUV…
Une prestigieuse lignée… et quelques bâtards !
Bien que relativement peu répandue en France, la Civic est une référence de l’automobile : best-seller de Honda depuis 1972, 22 millions d’exemplaires vendus sur dix générations, c’est la cinquième voiture la plus vendue au monde ! Une telle lignée n’est pas le fuit du hasard, mais celui d’un remarquable savoir-faire industriel et commercial.
La toute première Civic, malgré sa diffusion confidentielle, a fait connaître Honda en France en 1972, avec un positionnement urbain, luxueux et techniquement pointu, qui fondera l’image de marque de Honda, jusqu’aujourd’hui.
La deuxième génération change de catégorie, passant d’une micro-citadine à une petite voiture urbaine, avec des variantes trois, quatre et cinq portes, largement diffusées à travers le monde, mais elle ne rencontre pas le succès chez nous : un peu trop grande pour une citadine, un peu trop petite pour une berline moyenne, elle ne s’insère pas bien sur le marché européen.
La troisième génération trouve la bonne recette : dimensions restreintes, silhouette très basse, arrière coupé à la serpe comme sur les protos de recherche aérodynamique de cette époque, qualité de fabrication exceptionnelle, assurant une fiabilité inconnue dans cette catégorie. Aujourd’hui encore, la Civic reste considérée comme la voiture la plus fiable au monde ! Vendue très cher, la Civic III se taille une excellente réputation : comme un tailleur Chanel pour les dames ou un trench-coat Burberry pour les messieurs, on en a pour son argent et ça peut s’amortir sur une longue durée, car ça ne s’use, ni ne se démode. Encore mieux que l’Autobianchi Y10, la Civic devient par conséquent la petite auto moderne, des bourgeoises chics et dynamiques et des dandys, bref une « premium » bien avant l’heure de l’Audi A3.
La Civic 4 dans sa variante américaine SI : la plus élégante des Civic !
Les séries suivantes poussent leurs atouts : la Civic devient une référence internationale sur son segment, la presse auto est élogieuse, ce modèle trône tout en haut des classements des voitures les plus fiables du monde, devançant des berlines beaucoup plus chères et prestigieuses. Des petits bijoux !
Mais à la sixième génération comme à la deuxième, la Civic s’empâte comme une bourgeoise américaine qui se serait trop reposée sur sa richesse : elle devient l’une des plus grosses petites voitures. À la septième c’est carrément la catastrophe : en voulant tout réinventer, Honda gâche ses atouts ! Suivant la tendance de l’automobile mondiale dans ces années, la silhouette s’élève trop, en voulant singer les monospaces. Le design devient lourdingue, finie la finesse et l’élégance ! Pire encore : ceux qui s’y aventurent sont douchés : la qualité est très mauvaise ! C’est la consternation de Passy à Monaco…
La soucoupe roulante
Sans doute tétanisé par l’échec cuisant de la septième génération, Honda reprend à nouveau tout à zéro pour la huitième ! La Civic grandit encore pour devenir une berline compacte.
Pour conserver un vaste espace intérieur, comme sur la septième génération, sans paraître aussi massive, la huitième Civic fait appel à de nombreuses astuces. Tout d’abord le volume général est pyramidal : le pavillon n’est pas plat, le pare-brise est extrêmement incliné et les vitres latérales aussi. Par un effet de perspective, on ressent moins la hauteur si le sommet du pavillon est relativement éloigné des flancs.
La ressemblance avec le prototype Citroën Karin du salon de Paris 1980 est carrément troublante, d’autant plus que le coloris de présentation de la Civic (un beige métallisé très chic) est dans la même gamme de couleurs que la Karin : étonnant hasard !
Ensuite, le travail a porté sur l’architecture de la voiture, pour abaisser la ligne générale, tout en conservant l’habitabilité de la série précédente. Le réservoir d’essence a été déplacé sous les assises avant, formant repose-pieds pour les passagers arrières. L’espace ainsi libéré permet de charger à l’arrière des objets longs et hauts. En effet, contrairement à toutes les autres voitures modernes, dont la banquette arrière se replie en portefeuille, ici l’assise peut aussi se relever contre les dossiers pour dégager un espace large et haut, dont l’accès est facilité par des portes ouvrant à l’équerre.
La ligne plongeante permet de loger un coffre nettement plus volumineux que toutes ses concurrentes de même taille.
Un travail subtil sur les lignes fait croire à une berline deux volumes, alors que c’est une authentique monovolume, mais surbaissée comme une sportive. Une architecture complètement atypique, dans un univers automobile où les assises ont déjà tendance à s’élever, pour des raisons d’habitabilité, de supervision de la circulation ou de sécurité.
Comme sur une monovolume, l’immense pare-brise, dont la base s’avance jusqu’à l’axe des roues avant, est presque aussi grand que le pavillon. Et pour le faire paraître encore plus grand il se prolonge par une grille en plastique noir, ce qui raccourcit d’autant le capot.
Les porte-à-faux paraissent nuls, tant la carrosserie est arrondie aux angles. En réalité ils sont de taille normale pour l’époque. Le soubassement, les passages de roues, les prises d’air avant et ce qui imite l’extracteur arrière forment un ensemble continu en plastique noir, qui fait tout le tour de la voiture et l’assoit sur la route. En même temps, il réduit la hauteur de tôle perçue sous la ligne de caisse et allège par conséquent la silhouette.
Les poignées de portes avant ressemblent à des poignards préhistoriques ! Celles des portes arrières sont dissimulées, ce qui donne l’impression d’un coupé, d’autant plus que les vitres arrières sont toutes petites. Par conséquent, même s’il existe une version à trois portes, sa diffusion reste confidentielle, ce qui remet en question sa raison d’être, comme celle de ses concurrentes. En effet, dès les années 2000, les berlines deviennent de plus en plus dynamiques dans leur design, comme dans leur comportement et leurs performances. Par conséquent, l’intérêt de leurs variantes à trois portes s’amenuise, d’autant plus qu’elles sont moins fonctionnelles à cause de l’absence de portes arrières et sont globalement aussi coûteuses à produire, alors qu’elles sont vendues un peu moins cher. Celles-ci étaient positionnées depuis les années 70 comme des variantes plus jeunes et plus sportives, destinées à des conducteurs plutôt masculins et célibataires. Pour la Civic comme pour ses concurrentes, c’est un genre en voie de disparition : la version suivante n’aura pas de dérivé à trois portes.
La silhouette complètement atypique de la Civic VIII se double d’une profusion de triangles à toutes les échelles, un thème très rarement utilisé dans le monde de l’auto : c’est très osé !
La lunette arrière est en deux parties, séparés par un becquet, comme sur l’actuelle Citroën C4. Sauf qu’ici, il y aura un essuie-glace dès le restyling, pour voir au travers, même quand il pleut…
Avant et arrières essayent d’être identiques, ce qui est un tour de force stylistique. Comme sur la Citroën SM et la Mercury Sable (voitures futuristes s’il en est) la traditionnelle calandre est remplacée par un bandeau transparent qui englobe les phares.
Aux commandes du vaisseau routier
En accord avec le style extérieur, le design du tableau de bord est totalement futuriste et ne ressemble à aucun autre. Il se compose d’une large arche englobant notamment l’affichage principal, surmontée d’une visière encore plus grande, plus proche du pare-brise et repoussant une partie des instruments vers le passager. Son organisation générale paraît fantaisiste, comme si les différents éléments avaient été jetés au hasard sur la planche. En fait il n’en est rien, puisqu’il est facile d’utilisation et relativement ergonomique. Comme sur une Citroën des années 70 / 80 il faut s’habituer à cette organisation atypique, dans un univers automobile où toutes les commandes sont standardisées. Hélas, le mobilier intérieur est réalisé dans des plastiques durs, ce qui n’est pas adapté au positionnement « premium » du produit. Il faut préciser ici qu’au Japon, ce qui est dur paraît solide : Honda devait rétablir sa réputation de fiabilité, cela passait donc par quelques sacrifices techniques…
La particularité de la planche de bord de la Civic est d’être basse, relativement plate et de s’effacer devant le conducteur et le passager, ce qui procure une vraie sensation d’espace à bord.
Pas de soufflet ou de grille de changement de vitesse, mais une demi-sphère, comme sur une Volvo V60. Avec un levier particulièrement élevé et incliné, hérité de la version précédente : une lubie des monospaces de l’époque où on cherchait à dégager le plancher de tout ce qui pouvait contraindre la polyvalence et restreindre la sensation d’espace disponible.
A bord, on est assis très bas, comme dans une sportive. Mais comme le pavillon est resté relativement haut, on a une réelle sensation d’espace, comme dans un monospace.
Le retour sur terre
La génération suivante, la neuvième par conséquent, sortie cinq ans plus tard, s’est contentée de faire évoluer ses lignes, mais dans le sens d’une certaine banalisation : avant et arrière ne se différencient plus nettement, le thème du triangle disparaît, une véritable calandre réapparaît, les poignées de portes sont conventionnelles. Puis, pour sa dixième génération, la Civic fait à nouveau une grave crise de croissance et allonge son empattement de dix centimètres : la Civic n’est plus civique du tout… Ce faisant, elle change complètement de catégorie et prend la place de l’Accord : cette berline Honda a disparu des marchés occidentaux, alors que c’était une excellente voiture du XXième siècle, à la réputation tout aussi flatteuse que la Civic.
Avec la onzième génération, c’est encore pire : le modèle 2022 abandonne la sportivité apparente, soit tout ce qui restait de spécificité, pour rejoindre la banalité propre aux berlines courantes, jusqu’à ressembler à une banale Mondeo. Qu’est-ce qu’une Civic ni civique ni sportive ? Comme une Mercedes pas fiable, une BMW carburant au mazout ou une Ferrari grise : pas grand-chose… La Civic a perdu son âme ; souhaitons que l’électrification, qui imposera un changement complet d’architecture, lui rende l’inspiration qui a fait son originalité jadis ?