Renault Supercinq : plus cinq que la R5 !

Tout l’optimisme et la décontraction des années 70 dans une voiture : la 5 TL

Dans les années 80, la Renault 5 est une des voitures les plus vendues et les plus populaires en France. C’est bien simple : c’est un mythe automobile, c’est un peu la 2 CV des années 70 / 80. Conçue sur la base mécanique d’une R4, avec une carrosserie et un aménagement intérieur plus modernes, elle n’a initialement que trois portes, pour ne pas concurrencer la R4, qui en a cinq. En milieu de carrière, deux portes supplémentaires lui seront ajoutées, qui lui assureront une clientèle familiale et un succès démultiplié.

L’impossible succession d’une star

Si succéder à la R4 ne fut pas une mince affaire, car l’équation économico-technique ressemblait à la quadrature du cercle, succéder à un mythe comme la 5 n’était pas aisé : regardez la DS ou la 2CV, aucun autre modèle n’a su les remplacer chez Citroën. La Régie est paralysée par la peur de tuer celle qui lui assure des chiffres de ventes remarquables ! Même si l’affaire n’est pas si rentable qu’elle paraît, à une époque ou la gestion financière de la Régie Nationale, qui vit sous perfusion de L’État, est loin d’être transparente…

Un des innombrables prototypes du projet 140. Celui-ci est esthétiquement très proche du prototype Renault 2, qui aurait dû succéder à la R4.

Parallèlement au renouvellement de la R4 (projet dit « Véhicule Bas de Gamme » ou VBG), le projet 140 a été lancé dès le printemps 1978, pour remplacer la R5 alors que la version 5 portes allait arriver, avec un intérieur renouvelé, un an plus tard seulement. Faute d’idée pertinente, le bureau d’études est parti dans tous les sens sur les deux projets, qui se recoupaient parfois au milieu, ce qui engendrera  le plus grand nombre de prototypes réalisés par Renault, tous retoqués par les « tests clinique » : trop différents ou au contraire trop proches de la R5 (dont le succès ne faiblissait pas), aucun ne trouvait grâce aux yeux des clients potentiels. A court d’idées, Renault fera appel pour la 5 comme pour la remplaçante de la 4 ou le tableau de bord de la 25, à Marcello Gandini, un designer italien célèbre pour avoir notamment dessiné… la Lamborghini Countach !

Design postmoderne

Gandini est tout simplement reparti du dessin original de la R5, en augmentant ses dimensions, mais en respectant les proportions d’origines. Il s’est attaché à supprimer tout les détails qui alourdissaient la R5, pour restituer intact l’esprit du dessin original.
Regardez-donc dans les détails : la silhouette est lisse, débarrassée de toute aspérité inutile. Les pare-chocs sont dans l’exacte continuité de la carrosserie, ils ne débordent ni dessous, ni à côté. Les feux (avant et arrière) aussi, tout comme le hayon et les pièces en plastique noir. Le pied-milieu disparaît tout simplement derrière le montant de la portière avant. Les gouttières de pavillon (qui servent en fait à assembler le côté et le toit) affleurent l’ensemble. Les tôles des flancs sont pratiquement planes, mais pas tout à fait, comme le capot et le hayon: ce sont des courbes extrêmement tendues, très subtil…
Et pour parfaire le tout, le bouchon d’essence disparaît derrière une trappe, ce qui est très rare à l’époque à ce niveau de gamme. De profil, on retrouve l’inclinaison symétrique du pare-brise et du hayon. Sur les 3 portes, la découpe d’ouverture de la porte est verticale et presque droite au niveau du pied-milieu, mais montant de vitre avant, juste à côté, est incliné. L’ensemble crée un effet pyramidal original, mais qui ne se lit pas de 3/4, car les côtés de la voiture sont peu inclinés, contrairement par exemple à ce qu’on trouve sur une Honda Civic, qui joue à fond ce thème de la pyramide et du triangle.
Comme sur la R5, les passages de roues, aplatis en haut et la ceinture de caisse, un peu plus haute que chez les concurrentes, donnent une certaine solidité qui n’est qu’apparente. En effet, pour des raisons d’économies sordides, tout cela était réalisé avec des tôles trop minces ! Résultat : le moindre choc de parking de supermarché causait un gros bobo, et les longues portières avant des trois-portes s’affaissaient sous leur propre poids…

La R5, telle que la voulait son designer Michel Boué et telle que Gandini l’a restituée : lisse, simple, symétrique, bien posée sur ses roues, à la fois tôlée et très vitrée.

Le design de la Supercinq est beaucoup plus sophistiqué qu’il ne paraît, il recycle des lignes déjà anciennes, mais leur redonne une certaine modernité par l’épure des détails. En somme un dessin postmoderne, ce qui n’est pas étonnant de la part d’un designer italien, qui baignait dans ce mouvement, émergeant à cette époque dans son pays : l’élite artistique, notamment les architectes, cherchait une voie intermédiaire entre le poids de l’histoire, si prégnant en Italie, et le modernisme le plus radical des années 30, qui s’était discrédité dans son alliance avec le fascisme… Renouer avec ce qui avait fait le prestige de la Rome et le transporter dans la modernité. La réponse de Gandini à la commande de Renault, si différente de la radicale Countach, prend alors tout son sens !

L’inspiration postmoderne de la Supercinq transparaît nettement dans cette première campagne de pub, où le héros évolue dans la première grande réalisation postmoderne Française : Le Palacio d’Abraxas, une énorme résidence construite à Marne la Vallée, due à Ricardo Bofill. Suivie en continuité des Arènes de Picasso, dues à son compatriote Manuel Nuñès. La campagne est typique des années 80 : on starise le produit ! La Supercinq est à la R5 ce que Superman est à l’homme ordinaire. On remarquera au passage que la couleur de lancement, ce bleu électrique qui aura tant de succès, est en toute simplicité celle du justaucorps de Superman… Accessoirement, on met en valeur la tenue de route, pour bien la différencier de la R5.
Le pari de la Régie (tout miser sur le capital sympathie de la R5) s’avérait par conséquent très risqué. D’autant plus que la Supercinq sera vendue uniquement en trois-portes pendant de longs mois, alors que la 205, sortie depuis longtemps en cinq portes, venait d’apparaître en trois-portes, avec la carrosserie de la cultissime GTI ! Ces choix industriels et commerciaux avait été faits avant la sortie de la 205 : face à son succès, il était trop tard pour changer son fusil d’épaule. A sa sortie, la déception fut immense, à la mesure de la popularité de la R5. Alors que la 205 venait de redéfinir les fondamentaux de la citadine avec des prestations dignes du segment supérieur, notamment son design, en complète rupture avec la 104 qui l’avait précédée, la Supercinq se présentait, en apparence, comme une R5 simplement rénovée. Donc déjà démodée.

Des dessous tout 9

Sous le capot de la 5, le Cléon-Fonte de la R4, en position longitudinale. Sous celui de la Supercinq, le même, pivoté d’un quart de tour et modernisé.

Si la R5 de 1972 n’était qu’une R4 avec une carrosserie à la mode, la Supercinq est en fait une R9 avec un châssis raccourci et une carrosserie ressemblant à celle de 1972. Ces fondements techniques ont une histoire : après l’échec cuisant de la 14, conçue en collaboration étroite avec Peugeot, Renault reprend son indépendance, en abandonnant les moteurs X coproduits avec Peugeot au sein de la Française des Moteurs. La Régie se retrouve donc avec pour seul bloc en entrée de gamme, le fameux Cléon-Fonte (du nom de la ville qui accueille sont usine de fabrication). Un vieux moulin issu de la Dauphine, qui paraît archaïque dans les années 80 (arbre à came latéral entraîné par chaîne et soupapes culbutées). Pour les R9 et R11, c’est pourtant celui-ci qui sera une nouvelle fois remis sur les planches à dessin, pivoté d’un quart de tour pour être mis en position transversale et amélioré. Ce sont ces moteurs qu’on retrouvera également sur la Supercinq. Mais étouffés par des transmissions d’une longueur excessive, destinées aux économies d’énergie, qui avaient fait le succès de la R5 après le choc pétrolier de 1974. Résultat : une voiture généralement anémique, à la conduite douce mais impersonnelle.

Côté châssis, pas question de reprendre celui de la 14, issu de la collaboration avec Peugeot. C’est donc un tout nouveau châssis qui sera conçu, proche de celui de la R9, avec des liaisons au sol plus modernes : train avant Mc Pherson avec barre anti-devers et train arrière à bras tirés, barres de torsion transversales, amortisseurs couchés et barre anti-devers. Et vu le coût de la conception, la Supercinq servira aussi à l’amortir : une démarche atypique, qui vient renchérir une voiture urbaine. Mais aussi lui conférer des possibilités sans commune mesure avec celles de la 5 : il devient désormais possible d’envisager une version très sportive et un diésel, sans la moindre modification du châssis et en conservant l’essentiel des liaisons au sol ! Chose impossible sur la 5 : la Turbo était très modifiée pour passer la puissance. Et pas de Diésel. La Supercinq se contente d’un Mc Pherson à l’avant (mais avec des triangles inférieurs) au lieu des doubles triangles et barre de torsion des 9 et 11. Bizarrerie : la 5 portes a un châssis beaucoup plus long que la 3 portes : + 6cm, quasiment l’empattement d’une R9 ! Une variante très coûteuse au niveau industriel et inexplicable de manière rationnelle. Cette 5 plus logeable apparaîtra plusieurs mois après la 3-portes, alors qu’elle poussait encore mieux son argument d’habitabilité. La base de la Supercinq est par conséquent très saine, confortable et tenant bien la route.

Intérieur d’une Supercinq TSE de la première génération, qui montre nettement l’intérêt des sièges  » monotrace « , enveloppants et très peu encombrants. On remarque le commodo de clignotant, solidaire de la planche de bord, contrairement à celui des phares, qui est classiquement implanté sur la colonne de direction : encore une bizarrerie inexplicable…

A l’intérieur, la Supercinq n’a plus rien à voir avec la R5, mais plutôt avec la R9, dont elle emprunte plusieurs éléments : les fauteuils avant « monotrace », qui permettent de dégager beaucoup de place pour les jambes des passagers arrières, le combiné d’instruments, les commodos. Le design, également signé Gandini, est superbe, moderne, original, spacieux, confortable et fonctionnel, mais les matériaux sont médiocres : des plastiques certes mats, mais minces à friser la transparence, notamment dans les coloris clairs. A comparer avec les plastiques généreusement moussés de la 205, même si leur design était un peu trop classique, très Peugeot…

En résumé, la Supercinq porte très bien son nom : elle se positionne nettement au-dessus de la cinq, à tous les niveaux :

  • Beaucoup plus grande, presque une catégorie au-dessus (pour laisser de la place à la remplaçante de la R4 au niveau inférieur) ;
  • Carrément sans comparaison au niveau technique ;
  • Sensiblement mieux équipée dans son cœur de gamme ;
  • Beaucoup mieux finie intérieurement.

Et pourtant tellement similaire en apparence, au premier coup d’œil ! C’est ce paradoxe qui déroutera la clientèle au premier abord. Mais qui assurera son succès dans la durée, car de mythe, la 5 est passée au rend de voiture courante, tout en gagnant en qualité.

Dès sa sortie, la Supercinq s’offre un  » placement produit  » royal, dans le clip d’une chanson à succès de Bonnie Tyler : pub mondiale assurée et une image rock, féminine et raffinée à la fois, qu’on aurait mieux vue avec une Turbo ou une Baccara !

L’Hypercinq

La populaire et citadine féminine R5 avait ouvert la voie du haut-de-gamme et du sport avec la TX et la Turbo, car il se trouvait désormais une clientèle pour une voiture urbaine, qui ne soit plus seulement économique et dédiée à une utilisation familliale. La Supercinq confirme avec deux excellentes versions : la Turbo, une sportive un peu plus civilisée que la R5 turbo, mais plus roturière que la 205 GTI. Et la Baccara, une trois-portes au luxe tapageur, qui n’aura pas son équivalent chez la 205, car chez les calvinistes Peugeot, on n’exhibe pas sa richesse !

5 sur 5

Commercialement, après un démarrage très difficile, la Supercinq sera un grand succès et sa stratégie, toute différente de celle de la 205 en apparence, sera complémentaire : les deux se partageront les premières places des ventes automobiles en France, chacune étant première à tour de rôle. Vendue moins cher à prestations équivalentes, la Supercinq sera achetée plutôt par une clientèle populaire (habituelle de la Régie) et conservatrice (plutôt portée vers les anciennes Peugeot), la 205 étant plutôt achetée dans des versions diésel coûteuses, en GTI bien sûr ou en haut-de-gamme. Les scores de ventes sont astronomiques : 3 436 450 Supercinq vendues en 12 ans d’une très longue carrière. A comparer avec les 5 580 000 exemplaires de la 5, également en 12 ans.

La série spéciale TIGA, avec son style et ses couleurs typiques des années 80, fraîches et dynamiques ! Et de très belles jantes en tôle, dont on se demande pourquoi elles n’ont pas été montées sur d’autres versions que la TS.

Et pourtant c’est un désastre financier : quand George Besse arrive à la tête de la Régie, chaque Supercinq qui tombe des chaînes coûte la bagatelle de 10.000 francs à la société. Donc à l’Etat, c’est à dire aux Français. Pour une voiture dont le coeur de gamme est vendu 60.000 francs… « Ne pas désespérer Billancourt » coûte finalement extrêmement cher !

Et pour finir en beauté, voici un petit reportage sur un aficionado de la Supercinq, qui vous présente sa TSE de la toute première génération, dans un état de collection et au coloris de son lancement : épatante !  On remarquera la  » surfonction balançoire  » du siège conducteur, industriellement coûteuse et complètement inutile, sauf pour faire la sieste…

2 Commentaires

  1. Bonjour,
    pourquoi on attribue le dessin de la Supercinq à Gandini quand il y a autant des esquisses du dessin final qui sont signé Jean-Francois Venet et Micel Jardin (stylistes Renault)?
    Voir le site web ci-joint…

  2. Vous avez raison de souligner qu’une voiture n’est pas l’oeuvre d’un seul styliste !
    Même si c’est Gandini qui supervisait le programme Supercinq (et d’autres), des stylistes Renault ont aussi travaillé à la mise au point, et pas des moindres ! Bien souvent, un nouveau modèle est le produit d’une collaboration fructueuse, qui part du dessin initial, pour arriver au produit final, en passant par la mise au point de tous les détails. La qualité du design se juge notamment à la cohérence entre le tout et ses différentes parties : c’est notamment à ça qu’on reconnaît les grands maîtres du design comme Gandini !

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