Souvenez-vous : nous sommes en 2012, les américaines rivalisent de vulgarité avec leur design taillé à la hache, surjouant la brutalité comme si leurs conducteurs doutaient de leur virilité, voire de la capacité de leur pays à surmonter ce qu’on appelait encore « lacrise ». Pourtant, au milieu de toutes ces caisses à bière est apparue, au moment où on l’attendait le moins, chez une des marques les plus créatives des States, une berline aux dimensions européennes, avec des proportions élégantes, des lignes fluides, agressives sans excès.
Chrysler LeBaron GTS Turbo
C’est bien simple, ça m’a immédiatement rappelé la Chrysler LeBaron GTS, une berline moyenne du même gabarit, apparue dans les mêmes conditions en 1986, dans le même groupe industriel et qui a marqué le renouveau du design américain : elle a inauguré une génération de voitures plus compactes, plus modernes, au design plus dynamique et moins rigide que les « paquebots » des années 70.
Mais… en 2012, à l’heure de la mondialisation et des mégafusions, cette américaine inattendue est en réalité une italienne : en vertu du rapprochement Fiat – Chrysler, la Dart repose sur un châssis rallongé d’Alfa-Romeo Giulietta (c’est à dire la base technique de la très roturière Bravo 2) habilement déguisé par Joe Dehner, le designer de Chrysler.
L’objectif industriel était de produire, au sein d’une usine du groupe Chrysler, une berline dont la consommation serait inférieure à 40 miles par gallon. 18 mois auront suffi aux ingénieurs de Chrysler, appuyés par ceux de FIAT, pour sortir la Dart. On retrouve par conséquent de vrais morceaux de FIAT dans cette voiture, par exemple un moteur TwinAir et sa transmission, qui paraissent incongrus dans une américaine !
Dans les années 60, les Dodge Dart faisaient partie des muscle-cars, une catégorie de coupés surmotorisés, qui a disparu dans les années 70. Dart (flèche en français) désigne désormais le modèle qui a succédé à la jolie Neon, dont je vous ai parlé dans un précédent article. Comme dans les années 60, le design de cette nouvelle Dart se veut viril, avec une face avant un peu féroce et des volumes body-buildés : ailes avant particulièrement renflées, énorme arrière fessu, ligne générale très plongeante. Mais tout cela est tempéré par des courbes douces, plutôt féminines et une absence d’arêtes vives. Un semble équilibré, par conséquent, et bien dans l’air du temps… tout au moins en Europe occidentale !
A l’intérieur, ambiance sportive et virile, façon années 80, en rouge et noir comme dans une chanson de Jeanne Mas !
A sa sortie, on pouvait espérer que la Dart servirait de base à une nouvelle Lancia Delta, ce qui nous aurait permis de conduire la belle en Europe. Hélas ce sont finalement les chinois qui l’ont récupérée sous le nom de FIAT Viaggio. Lancia est désormais une marque moribonde, cantonnée au marché italien.
Un milliard de dollars aura été englouti dans cette affaire américaine, qui se soldera par un bide commercial consternant, contrastant avec le succès de la Neon. Sortie trop rapidement, uniquement en boîte manuelle ou séquentielle, trop moyenne à tous égards, la Dart n’a pas su trouver sa clientèle. La voiture américaine la plus vendue aux States reste le monstrueux pick-up Ford 150, ce qui en dit long sur ses conducteurs… La Dart se retirera en 2016, sans succession à ce jour. Depuis, Chrysler s’est séparé de FIAT, qui a rejoint le groupe PSA.