Pendant longtemps, la tactique commerciale de Citroën a consisté à produire des voitures très en avance sur leur époque, pour démoder la concurrence et amortir les coûts de développement sur une très longue durée. Cette stratégie a donné à la marque une image avant-gardiste, mais elle a aussi causé (en partie) sa faillite : à force de vouloir être trop en avance, parfois on se trompe complètement, techniquement et commercialement ! Après le rachat de la marque par la très raisonnable famille Peugeot, la stratégie a complètement changé : place au réalisme. Premier véritable fruit de l’union entre les deux marques française, la BX en est une excellente illustration. Ainsi, alors que la GS était techniquement très en avance sur la concurrence, mais en retard sur le marché, sa remplaçante la BX est la meilleure expression automobile de son époque : les années 80.
Dès 1979, Jean-François Bizot écrivait dans l’édito du premier numéro du magazine Actuel, qui deviendra la bible des 80’s : « Rien à voir avec la tristesse des années 70 : les années 80 seront actives, technologiques, vigoureuses et gaies ». Comme une illustration de cette prophétie, la BX a débarqué en 1982, au milieu de ses concurrentes, dessinées dans les années 70 avec des lignes raides et des détails inutilement compliqués. A l’unisson des années 80, fraîches, toniques, optimistes et résolument tournées vers l’avenir, elle adoptait un design franchement original, contrastant avec tout ce qui existait jusqu’à présent, et même avec ses sœurs Citroën : lumineux, sportif, ludique voire même clinquant, bref italien en diable!
Elle aurait pu n’être qu’un jouet vite démodé, difficilement vendable à la clientèle de son segment de marché, réputée pour son conservatisme forcené. Or, en visant juste en plein cœur de son époque, en étant abordable, facile et agréable à vivre, elle s’est vendue à 2 330 000 exemplaires : un carton commercial inégalé à ce jour ! De surcroît, sa personnalité jeune et plutôt sportive en a fait un vrai véhicule de conquête, réussissant à rajeunir nettement la clientèle de la marque, ce qui n’était pas une mince affaire !
Comment y est-elle parvenue? En étant tout simplement « théoriquement la meilleure voiture du monde« , comme le disait à l’époque Carl Hahn, le patron de Volkswagen. Et tout d’abord en commençant par transcender ses dessous de 305, imposés par Peugeot. La BX est habitable et joliment proportionnée, un étonnant tour de force, réalisé notamment en élargissant la caisse au niveau de la ceinture. A l’intérieur c’est flagrant, dehors on ne voit rien!
Comme toutes les Citroën avant elle, la BX ne ressemble à rien de ce qui roule à son époque, et surtout pas à une 305. Mais elle ne ressemble pas non plus à une Citroën ! Aucun lien de parenté avec les 2CV, DS, Ami, CX, GS, qui avaient été conçues en interne, par deux personnalités majeures : Flaminio Bertoni et Robert Opron. Ce dernier étant parti chez Renault, suite à la reprise de Citroën par Peugeot, le bureau d’études s’est retrouvé décapité comme un canard et s’est mis à courir en tous sens… Faute de trouver style un fort et cohérent en interne, Citroën a consulté deux célèbres agences italiennes : Ital Design et Bertone. Malgré des délais très courts, ce dernier a remporté haut-la-main la compétition, grâce à un projet très abouti, auquel Citroën ne changera pratiquement rien, hormis quelques menus détails (feux arrières, plaque d’immatriculation, poignées de portes, baguettes latérales, logos), ce qui est très rare. Et d’autant plus rare que le délai de consultation était très court et les moyens de Bertone limités : un seul designer, génial, Marcello Gandini. On retrouve par conséquent dans la BX les traits de plusieurs de ses récentes créations.
Ce prototype de la marque anglaise Reliant, célèbre outre-manche pour ses petites trois-roues, a été cédé à Otosan, une obscure marque turque, où il est resté dans les caisses. On reconnaît sans peine toutes les lignes générales de la BX, cinq ans avant sa sortie !
Sur ce « démonstrateur de salon », les pare-chocs, le capot et l’avant se rapprochent du style final de la BX. Le joint creux périphérique et la custode en verre fumé apparaissent. Le patron de Citroën a été stupéfait lorsqu’il a découvert ce proto au Salon de l’Auto de Genève. Mais comme l’accueil du public a été très positif, ça l’a conforté dans la conviction que le choix de style était le bon. Heureusement, les orientations du design Volvo ne cadraient pas du tout avec ce dessin…
Le style de la carrosserie est à la fois très typé, comme toutes les Citroën, mais rassurant pour ne pas dérouter la clientèle conservatrice. Ainsi, pour donner un côté dynamique qui attire l’oeil, les lignes sont anguleuses, très simples en apparence, les surfaces quasiment planes, raccordées par des angles vifs. Sur les modèles haut-de-gamme, une troisième petite glace latérale en plastique transparent fumé, vient dynamiser le profil et donner une discrète note futuriste au niveau de la custode. Mais pour rassurer, la ligne générale est sagement équilibrée, la ceinture de caisse est relativement basse (d’où l’intérieur très lumineux) et il y a beaucoup de vitrages au-dessus. Comme sur une Lamborghini également dessinée par Gandini, les passages de roues sont aplatis en haut, ce qui donne l’impression que la voiture est « collée à la route ».
Le design intérieur est cohérent avec celui de la carrosserie : un mélange d’originalité et d’impressions rassurantes. Il est essentiellement dû à l’équipe de Citroën autour de Michel Armand, mais le tableau de bord a été dessiné par Gandini, qui a parfaitement respecté la commande. On y retrouve les lignes cunéiformes de la carrosserie, et de longues horizontales qui élargissent visuellement l’espace intérieur. Pour le côté futuriste, typique de Citroën, il est pourvu, comme sur une CX, de « satellites de conduite » à la place des commodos. L’équipe de Michel Armand a ajouté un compteur à tambour rotatif au lieu de cadrans à aiguilles et des afficheurs électroniques typiquement 80’s. Le restylage de milieu de carrière fera disparaître ces excentricités : les « satellites de conduite » seront remplacés par des commodos plus traditionnels et d’un maniement plus intuitif, l’instrumentation à aiguille remplacera les tambours et afficheurs électroniques.
Les sièges sont à eux seuls un joli morceau de design : d’un bout à l’autre de la gamme, ils sont très galbés au niveau des reins, pour bien maintenir le corps dans les virages. On dirait les « baquets » d’une voiture de sport des 70’s, ce qui confirme la personnalité sportive de la voiture. Innovation de la BX, jamais reprise depuis hélas, le dossier et l’assise se relèvent grâce à deux gros boutons rotatifs situés de part et d’autre de l’extrémité de l’assise, qui tombent sous la main. Beaucoup plus facile que dans toutes les autres voitures où il faut chercher sous le siège et derrière son dos pour trouver des commandes au fonctionnement pas toujours évident. Tout cela est surmonté d’étranges appuie-têtes cunéiformes, à une seule glissière plate, aussi bizarres que ceux d’une CX, mais nettement plus confortables.
Avec une ceinture de caisse aussi basse, l’ambiance intérieure est étonnamment lumineuse et aérée. Les coloris choisis donnent dans les camaïeux de bruns, bleu ou gris, avec un garnissage chaleureux en tweed et de la moquette épaisse, qui remonte sur la boîte à gants, pour faire plus douillet.
Enfin la voiture a été remplie avec le contenu technique le plus moderne : une gamme complète de nouveaux moteurs, puissants et économiques, en essence comme en diesel, une suspension hydropneumatique (spécificité Citroën) enfin au point, à la fois ferme et confortable, et une foule de pièces en nouveaux matériaux composites qui la rendaient à la fois légère (donc rapide et économique) tout en restant très solide. Dans la BX, presque tout est nouveau, sauf le châssis, ce qui est très rare à cette époque.
La BX sera la première Citroën et l’une des première autos au monde à être très largement conçue avec la CAO. On remarquera au passage le prototype du tableau de bord, ici dépourvu de ses angles vifs, aussi désagréables au toucher qu’à l’utilisation ! Le volant définitif sera différent, mais celui du prototype équipera la voiture dans la deuxième moitié de sa carrière, avec un tout autre tableau de bord !
Contrairement à la CX, la BX a donc gommé une partie de ses particularismes Citroën pour mieux se vendre à une clientèle généraliste. Les lignes tombantes, l’absence de hayon, la suspension flottante (roulis, plongée, cabrage), la direction hyper-directe à rappel asservi, ont disparu au grand dam des « citroënistes » mais pour la plus grande satisfaction des autres automobilistes, en quête pour leur famille d’une grande voiture qui ne se pilote pas, mais se conduit tout simplement.
Et pour vendre tout ça aux yuppies, Citroën a fait appel à l’idole de la com’ des années 80 : Jacques Séguéla, qui ne lésinait jamais sur les moyens pour « stariser » les produits. Prenant acte que Citroën était perçu comme une marque au fort contenu technique, il a décidé… de ne pas en parler, contrairement à ce qui se faisait systématiquement, mais d’insister avant tout sur la personnalité de la voiture, chose éminemment abstraite et bien difficile à évoquer au grand public.
La campagne de lancement a stupéfait la France entière : elle a commencé par un teasing sous la forme d’une campagne d’affichage où la voiture n’était pas montrée, mais remplacée par des photos d’un couple épanoui, sous lesquelles on pouvait lire « voici la nouvelle Citroën ». Quelques jours après, une BX, enfermée dans une caisse en bois portant la même mention, fut suspendue au niveau du 1erétage de la Tour Eiffel, au moyen d’une grue gigantesque : une débauche de moyens logistiques, mais toujours rien à voir ! La caisse a été redescendue et ouverte le jour du lancement national, suivi par un feu d’artifice embrasant la Tour, en toute simplicité. Puis la voiture est enfin apparue sur les affiches : sa couleur rouge avait été choisie après un survol de parkings de supermarchés, révélant que c’était la plus répandue à l’époque.
A une époque où les voitures rouillaient encore beaucoup, surtout les françaises, la BX, avec sa carrosserie partiellement en plastique et ses aciers bien protégés contre la corrosion, n’hésitait pas à aller prendre un bain de mer!
Pour la pub TV, Séguéla avait tout simplement confié le scénario et les paroles à l’écrivain Philippe Labro, la musique était de Jean-Loup Dabadie, chantée par Julien Clerc, qui jouait également son propre rôle ! C’était tout à fait raccord avec la personnalité jeune, sportive et séduisante de l’auto. En somme, bien avant les Renault, la BX a été lancée comme une « voiture à vivre », avec un succès écrasant : 25.000 unités vendues les deux premiers mois !
Aujourd’hui totalement ringardisée, comme la plupart de ce qui date des années 80, la BX est aux antipodes de notre époque inquiète, qui se rassure dans des carrosseries renfermées, et tente de se distraire par les « nouvelles technologies ». Une ballade en BX reste un rafraîchissant voyage, où on est tout simplement occupé à apprécier le confort, en savourant le paysage tout autour. Trente ans après, ses prestations dynamiques restent tout à fait d’actualité, seul le bruit métallique du moteur XU fait un peu tâche.
Lors de la vente aux enchères des archives Bertone, ce croquis est apparu : comme il date 1977, on peut estimer qu’il préfigure le prototype RELIANT FW11, mais il est pourtant plus proche de la silhouette de la BX, dont le thème général était donc déjà esquissé 5 ans avant sa sortie.
https://www.facebook.com/cardesignarchives/photos/a.230446857323658.1073741827.230440727324271/589085371459803/?type=3&theater
Une très belle voiture la BX et enfin un article à la hauteur.
Petit détail pour le design intérieur de la phase 1 c’est Michel ARMAND (l’auteur des intérieurs de CX et GS) qui l’a dessiné.
Ah, merci pour votre compliment et pour cette info, que j’ignorais ! Je trouvais ce premier intérieur bien plus en accord avec le design extérieur. Les courbes et les matériaux souples apparus après, étaient certes plus sympathiques à l’oeil et au toucher, mais nuisent à l’homogénéité du style, pourtant dû à deux designers différents. Mais qui devaient bien se comprendre, non ?
Hello. J’aimerai connaître vos sources sur l’emploi des « dessous de la 305 » et le fait que l’intérieur soit aussi de la patte de gandini.
Cet article a été essentiellement écrit de mémoire. Je dois préciser ici que j’ai ingurgité avec passion une quantité phénoménale de revues auto et d’articles consacrés au sujet (j’ai quasiment tout conservé dans mes archives) pendant plus d’une vingtaine d’année, des années 80 à 2000. Il faudrait que je fasse des recherches, mais c’est le temps qui fait défaut pour l’instant !
Chapeau! Très bel article! Et je ne dis pas ça parce que dans la famille nous roulons BX tous les jours encore….
Merci ! J’ai moi-même circulé à bord et conduit pendant des années une BX 19 TRS, que j’avais conseillée à mon père et qu’il avait fini par acheter.