L’Aurora était sans doute la meilleure berline américaine des années 90 : pourvue de tous les atouts qu’une clientèle exigeante et dynamique attendait, elle n’a pas pourtant pas réussi à sauver la marque Oldsmobile.
Le « péril jaune »
Dans les années 90, les américains assistent stupéfait, sur leur propre marché automobile, au succès de marques de luxe, créées ex-nihilo par les principaux constructeurs japonais. Lexus chez Toyota, Infinity chez Nissan et Acura chez Honda, ont pour objectif de séduire une clientèle jeune, moderne et aisée, qui ne peut pas s’offrir les Volvo, Saab, BMW ou Mercedes européennes, vendues très cher outre-Atlantique. Ces nouvelles marques de luxe ne sortent pas de nulle part : elles sont la conséquence d’une montée en gamme progressive, reposant sur des produits fiables et très bien construits.
Face à l’invasion des japonaises en entrée de gamme, GM avait créé Saturn, ex-nihilo, dès le début des années 80 : une nouvelle marque, qui proposait des voitures compactes, originales et bien construites, dans un esprit européen. Mais sur le créneau du luxe, GM avait déjà trois gammes différentes aux USA : Cadillac, la plus prestigieuse de toutes les américaines, Buick, un cran en-dessous, mais avec une clientèle plus jeune. Et Oldsmobile, la plus ancienne marque des States, dont la clientèle était plus conservatrice et plus âgée.
Oldsmobile a eu son heure de gloire dans les années 70 et 80, quand la Cutlass, son coeur de gamme, se vendait très bien : elle fut même importée un moment en France. Mais faute de se renouveler pour capter une nouvelle clientèle, la marque a vu son étoile faiblir dangereusement dans les années 90. Pour concurrencer Lexus, Infinity et Acura, GM a eu l’idée de profiter de la capacité de production d’Oldsmobile, sous-utilisée, en modernisant leurs produits : c’est sur cet objectif qu’a été construite l’Aurora.
Aurora : le best-of de GM
Grace à ses huit marques et notamment ses trois divisons de luxe, GM n’avait qu’à faire son marché dans son groupe pour construire le nouveau haut-de-gamme Oldsmobile. Le châssis est celui qui a été utilisé pour des produits vendus avec un succès d’estime en Europe : Buick Park Avenue et Cadillac Seville. Ses solutions techniques sont comparables à celles employées dans le haut-de-gamme européen et au Japon : traction avant, train avant pseudo-Mc Pherson, installé sur un faux-châssis recevant également le moteur, triangles obliques et bras transversaux à l’arrière, amortisseurs pilotés électroniquement. La tenue de route est très bonne, le freinage efficace, on peut même jouer un peu avec la voiture, ce qui n’est pourtant pas sa destination. Surtout outre-atlantique !
Pour le moteur, c’est le V8 Northstar tout alliage de la Cadillac Allante (également importée en France) qui est retenu, un des plus fabuleux moulins américains de la fin du XXième siècle. Installé en position longitudinale – d’où le long capot et le grand porte-à-faux – il est ici « dégonflé » à… 4 litres et tire quand même 250 Cv grâce à ses culasses à 32 soupapes actionnées par deux arbres à came entraînés par chaînes ! Accouplé à une boîte auto à 4 rapports, issue de chez Cadillac également et disposant de l’antipatinage, il vous expédie tout en douceur à 100 km/h, en à peine plus de 8 secondes, malgré le poids considérable de l’engin (1,8 T). Et il a le bon goût de rester sobre malgré tout, pour un moteur de cette époque, même comparé à ses rivaux européens.
Finesse et élégance
Très large (1,89m), très longue (5,22m) et très basse (1,41m) comme toutes les grandes américaines modernes des années 90, l’Aurora a une silhouette de squale et impressionne beaucoup, tout en restant très élégante. Ce qui est rarissime aux States, où on confond généralement puissance et brutalité ! La poupe est carrément futuriste avec un bandeau lumineux rouge qui fait toute la largeur de la voiture et une lunette arrière au découpage étrange, vestiges de l’études de design qui l’a engendrée. Au bout du capot et au centre du volant, un A, et non le logo Oldsmobile : dans les concessions l’Aurora se présente comme une orpheline, au risque de tuer la marque.
A l’intérieur, l’équipement est pléthorique, la finition très convenable, ce qui n’est pas courant aux States, à une époque où le segment « premium » européen et japonais a fait d’immenses progrès en la matière et donne des leçons de qualité apparente à toute la planète automobile. L’ensemble soutient largement la comparaison avec les produits visés : Lexus, Infinity et Acura. Il leur manque à toutes le « chic » européen, comme par exemple dans la Rover 75.
La star pâlit
A sa sortie en 1995, l’Aurora est bien accueillie par la presse, bien vendue la première année, mais ses ventes chutent rapidement : un peu plus de 136.000 exemplaires pour la première mouture, un bide pour un pays comme les Etats-Unis. En 2000 apparaît une version restylée, banalisée et plus abordable, mais elle ne peut stopper la chute de la marque, qui ferme en 2004.,
Pourquoi une si bonne voiture s’est révélée être un échec commercial ? Tout d’abord parce que GM s’est perdu dans ses quinze marques (!) disséminées sur la planète. Volkswagen mobilise des ressources exceptionnelles pour en gérer quatre, l’Alliance a échoué à en gérer guère plus, comment GM aurait-il pu réussir à définir, puis porter des images de marques différentes et aussi nombreuses ?
Ensuite, relancer une marque historique, en rajeunissant son image avec un produit exceptionnel, pouvait paraître comme une bonne idée. Mais il aurait fallu miser d’abord sur un véhicule de conquête, qui fasse du volume et draine de la clientèle dans les concessions. Regardez ce que fait Mercedes avec ses produits : dans les années 80 la marque a lancé la 190, qui a séduit une clientèle plus jeune, laquelle (en prenant de l’âge) s’est tournée vers les Classe E, voire S. Ce processus s’est renouvelé ces dernières années, en remplaçant la classe A monovolume par une sorte de Golf avec une étoile au bout du capot et plein d’écrans à l’intérieur : c’est reparti pour un tour, avec une clientèle très rajeunie, qui investit énormément dans sa voiture (en argent et en statut), contrairement à la tendance générale du marché des compactes ! A contrario, la gamme Oldsmobile et ses concessions sont restées vieillottes.
Enfin, lancer une nouvelle marque comme Saturn était effectivement une bonne idée, et c’est à se demander s’il n’aurait pas fallu coiffer cette gamme moderne et dynamique par un modèle haut-de-gamme ? Sauf que les produits Saturn restaient trop basiques. C’est toute la gamme Oldsmobile qu’il aurait fallu repenser comme l’Aurora. Regardez enfin ce qu’a fait Audi en quelques décennies, en s’éloignant progressivement de Volkswagen, pour monter en gamme, de la petite voiture à la limousine, quitte à en passer par des choix techniques ou de design radicaux : aujourd’hui c’est le must-have des nouveaux riches, avec une image de marque en or massif et une rentabilité remarquable !
Ici un essai de l’époque, illustrant l’excellent accueil réservé à cette voiture :
https://www.youtube.com/watch?v=jqIJVenp4JI
Seule critique : l’ouverture du coffre, trop étroite…