La tendance naturelle du monde de l’automobile c’est l’inflation permanente du confort, des équipements, des dimensions et par conséquent du poids. Pourtant la Panda s’est imposée dès les années 80 en étant la plus simple et la plus légère : preuve qu’il existe une autre voie, dont l’époque actuelle gagnerait à s’inspirer.
FIAT : le spécialiste des petites voitures
La Fabbrica Italiana Automobili Torino est connue dans le monde entier pour ses petites voitures économiques. Dans les années 70, sa gamme en comportait deux modèles :
- La 126, une version modernisée de la célèbre 500, minuscule 3-portes de 3,05m de long, propulsion, équipée d’un modeste bicylindre arrière.
- La 127, une sorte de concurrente de la Renault 5, traction avant moderne, avec hayon, de 3,60m de long, équipée des moteurs du modèle précédent, la 850.
Le groupe FIAT intégrait également la marque Autobianchi, qui produisait l’A112, sortie un peu avant la 127, traction avant également moderne, avec hayon, 3,23m de long, avec les mêmes moteurs que la 850. Mais dans une définition plus raffinée, qui fera son succès auprès des élégantes citadines européennes.
C’est en 1976 qu’a débuté le projet Tipo Zero, qui donnera naissance à la Panda. Le cahier des charges précisait que la nouvelle venue devrait s’intercaler entre la 126 et la 127, mais sans cannibaliser l’A112. La Tipo Zero devait donc être plus habitable, mais aussi plus rustique pour rester accessible, tout en étant fiable et robuste. Et elle devait reprendre des composants des 126 et 127 pour réduire son coût de développement et de production.
L’éphémère co-patron de FIAT, le sulfureux Carlo de Benedetti, accordait une grande importance à ce projet, car il voyait bien que ses petits modèles, qui constituent l’essentiel de la diffusion de la marque, s’étaient fait doubler par des autos plus modernes ou plus sexy comme la R5. Il a pourtant confié le projet à Giorgetto Giugiaro, patron d’Ital Design, plus habitué aux autos luxueuses ou novatrices qu’aux petites voitures basiques.
Et comme il était très pressé, il l’a obligé à rendre une esquisse juste après ses vacances estivales ! Le design de la Panda sera donc conçu en quinze jours seulement, en Sardaigne, dans une ambiance de vacances, ce qui lui a peut-être donné son caractère jovial. Comme Carlo de Benedetti passait ses vacances juste à côté, le jour dit Giugiaro s’est rendu dans sa villégiature et ne l’y a pas trouvé, car il était rentré en Italie. Il est donc retourné à Turin où il a appris que Benedetti venait d’être débarqué par Giovanni Agnelli, propriétaire de la marque et remplacé après seulement quatre mois chez FIAT. Consternation du designer qui avait consacré ses vacances à un projet condamné. Or c’est pourtant tout l’inverse qui se produira : le même jour, un appel de la nouvelle direction lui confirme que le projet sera maintenu. Il sera même validé en l’état, aussitôt présenté, et son dessin ne changera quasiment pas jusqu’à la production, ce qui est très rare ! Preuve que la nouvelle petite FIAT était comme ses ancêtres : née sous les meilleures auspices.
La silhouette de la Tipo Zero joue sur la solidité apparente (un thème récurrent chez Ital Design) avec une ceinture de caisse relativement haute, une custode très tôlée, bref une apparence robuste… Solidité confirmée à l’usage, ce qui n’est pas du tout le cas des autres FIAT de l’époque, notamment à cause de la médiocre qualité des aciers italiens, qui rouillaient à toute vitesse. La calandre est constituée d’une simple tôle, percée d’ouies qui rappellent le nouveau logo FIAT, très abstrait : des bandes inclinées, qui n’évoquent strictement rien… Très rares sont les voitures dont la calandre est asymétrique : la symétrie s’impose dans tout l’objet, rares sont ceux qui tentent l’asymétrie, devant, derrière ou sur les côtés. On peut citer la BX (également dessinée en Italie) et son logo décalé à droite, dont l’AX s’inspirera.
Simple mais robuste
Comme son nom de code l’indique, la Tipo Zero se présente en apparence comme la plus basiques des autos : panneaux de carrosserie plats, lignes droites, vitrages plats, un seul balai d’essuie-glace. Mais la caisse est beaucoup plus sophistiquée qu’il n’y paraît : elle a été conçue par ordinateur, pour être la plus légère possible. Elle pèse 28% de moins qu’une caisse comparable, à rigidité équivalente. Et pour ce faire, elle adopte des assemblages originaux. Certains sont carrément en avance sur leur temps, notamment le hayon et le capot « autoclave » c’est à dire débordant sur les ailes. Ou la soudure des côtés de la voiture, réalisée sur le dessus du pavillon, alors que l’assemblage habituel à cette époque se faisait sous la forme de gouttières entourant les vitres, beaucoup moins cher à produire.
D’autres détails d’assemblage sont carrément étranges : un vilain petit cache plastique, généralement ajusté de travers, masque la charnière haute de la porte avant, qui est apparente, comme sur un utilitaire ou une voiture ordinaire d’avant-guerre ! A côté, les ailes avant sont en deux parties, ce qui n’est pas très esthétique. En fait tout le côté de la voiture, y compris le pied de pare-brise est embouti en une seule fois. L’habituelle soudure entre le côté et le tablier est ici reportée à la jonction avec l’aile : je ne connais pas d’autres voitures de diffusion courante assemblées comme cela. Il est possible que cela contribue à la rigidité de l’ensemble, puisque ce « noeud » du pare-brise s’avère un élément crucial. De fait, au crash-test l’aile avant est broyée mais le triangle au pied du pare-brise reste intact et par conséquent la portière située juste à côté est peu affectée : elle reste ouvrable pour désincarcérer conducteur et passagers.
Autre nouveauté : la peinture est assurée par des robots, ce qui permet une meilleure application dans les recoins, gage de résistance dans le temps. Très pratique aussi pour peindre l’intérieur de la carrosserie, dont la tôle reste largement apparente sur les versions de base.
Comme sa contemporaine la R5, la Panda adopte des boucliers et des bas de caisse en résine structurée. Que le restyling fera disparaître au profit de tôle laquée et de plastique noir, plus dans le goût de l’époque et faisant un peu plus noble. But du jeu : monter un peu en gamme.
Les dessous de l’affaire
Sous une apparence robuste, la Panda cache des solutions techniques éprouvées, voire relativement modernes pour son époque. La gamme débute par le bicylindre de la 500, passé par la 126, puis continue avec l’antique quadricylindre ACL de la 850 et encore au-dessus celui de la 127. Avec le bicylindre, les ouïes de la calandre sont à gauche, côté passager. Avec le quadricylindre on retourne la calandre, ouïes à droite, côté conducteur, tout simplement !
A l’avant les suspensions Mc Pherson, avec des freins à disque, sont tout à fait au goût du jour, mais FIAT maîtrise cette technique depuis longtemps, contrairement à ses concurrents, ce qui lui permet de la proposer sur la plus simples de ses voitures. A l’arrière, la suspension est à ressorts à lames, une solution relativement archaïque, mais qui suffit pour un usage urbain, voire périurbain.
FIAT sortira très rapidement une version 4×4, rareté dans le monde auto, mais qui remplit à elle-seule une niche très européenne : la nécessité de tout petits véhicules pour monter dans les villages alpins enneigés. Elle sera la seule pendant longtemps, rejointe par des petites Suzuki à la diffusion nettement plus confidentielle et dépourvues de capital sympathie.
Avec le restyling, la Panda héritera du moteur FIRE 1000, excellent petit groupe de moins d’un litre de cylindrée, silencieux, très économique, volontaire et indestructible. Lui aussi design, avec son joli cache-courroie laqué et son réservoir d’eau dans une poche plastique ! Bref, le moteur qu’il lui fallait pour monter un peu en gamme. Avec l’astucieux essieu en Ω, hérité de la Lancia Y10, efficace et un peu plus confortable, la voilà repartie pour un tour jusque dans les années 2000 ! 23 ans au total, preuve de la grande viabilité du concept lorsque la technique reste à jour.
Un espace intérieur à vivre en toute simplicité
La voiture est avant tout conçue de l’intérieur, pour maximiser l’espace habitable. Les roues sont repoussées aux quatre coins, ce qui est tout nouveau. L’empattement est supérieur à toutes ses concurrentes, l’espace intérieur est par conséquent le plus vaste, mais le coffre en pâtit : un défaut pour une voiture urbaine destinée à faire le plein de commissions au supermarché, selon l’usage désormais établi.
A l’avant les sièges minimalistes, sont inspirés de la 2Cv, mais à l’arrière la banquette est radicalement innovante : une sorte de hamac modulable, transformable en berceau pour bébé. Evidemment, comme bien souvent à l’époque, les sièges font « couchette », une fonctionnalité venue tout droit des fantasmes des années 70, mais qui, dans la pratique, se révélait largement inutilisable ! Raison pour laquelle elle a complètement disparu aujourd’hui.
Comme toujours en Italie et comme souvent dans le groupe FIAT, les garnitures intérieures sont très chic et toujours beiges, un coloris qui va avec tout. En entrée de gamme un tissus uni, simple, lumineux, très salissant, mais comme les garnissages sont amovibles et passent en machine c’est pas grave ! Juste au-dessus, une solide toile rayée, structurée et mouchetée, rustique mais pas vulgaire, et enfin une sorte d’élégant tweed uni.
On aura aussi des rayures bayadère multicolores, qui s’assortissent à toutes les nuances de carrosseries, rappelant les élégantes créations du couturier Missioni. Bref, la classe à l’italienne, tout ce qu’on aimerait trouver dans les Alfa et FIAT actuelles et qu’on avait souvent dans les regrettées Lancia…
Là aussi, l’industrialisation ne s’encombre pas de finitions compliquées : les sièges et appuie-têtes sont bêtement cousus sur les côtés, les panneaux de contreportes fixés avec des rivets en plastique apparent.
Mais sur la version Super, on a le droit à des surcoussins, du genre de ceux qu’on trouve à l’époque sur les plus luxueuses selleries cuir. Ils sont tout simplement fixés sur l’assise de base : une solution simple, confortable et très élégante. Un peu à l’exemple de la Mini anglaise : définition très basique, mais des finitions sophistiquées.
Le tableau de bord exploite le même thème du hamac que la banquette arrière. Mais en réalité c’est simplement un pli de la toile qui habille le tablier : les designers ont eu l’idée géniale de replier ce bas de tissus pour en faire un profond vide-poche. Et ainsi répondre de façon originale et très peu coûteuse au rangement du bric-à-brac automobile. Un peu comme un grand sac féminin, où on trouve de tout, pêle-mêle mais c’est pas grave. Il accueille également l’auto-radio et des haut-parleurs, en option.
Autre idée géniale : le cendrier coulissant, qui n’a pas de place attribuée, côté passager ou côté conducteur, droitier au gaucher, conduite à droite ou à gauche, peu importe, il est toujours à la bonne place.
De même, le combiné d’instruments, très simple mais complet, solidaire de la direction, se pose là-dessus à droite ou à gauche sans modifications de la planche de bord. Il rassemble dans un seul module tous les afficheurs et toutes les commandes, plus un aérateur central pour les versions haut-de-gamme. Tout ça sous la forme d’un sous-ensemble complet, facile à produire indépendamment et à poser sur la chaîne.
En somme, une réussite du design italien.
La voiture à malice
Pour nous vendre tout ça, les créatifs italiens ont imaginé une énorme campagne de pub dans les journaux, qui décline sans fin le slogan « voiture à malice » et toutes les qualités qui s’y rattachent, sur un mode humoristique, sans-façons jusque dans la mise en page façon magazine : une fraîcheur très 70’s, mais aussi un positionnement complètement décalé, à une époque où la voiture est un objet social éminemment statutaire. Les qualités intrinsèques de la voiture y sont très bien vendues et un petit papillon rigolard à gros nez survole la page pour personnifier la malice de l’auto. Ça lui attire immédiatement un capital-sympathie, bien latin, qui fera aussi beaucoup pour le succès de l’auto.
L’avenir d’un concept
Malgré un coût plus élevé que prévu à l’export, à cause de l’inflation galopante en Italie à cette époque, la Panda aura un succès immédiat et durable, car elle n’a pas de vraie concurrente en Europe : elle démode les 4L et 2Cv, s’avère malgré tout bien plus fiable et mieux construite que des voitures concurrentes construites dans les pays de l’Est.
La Panda inspirera la Twingo, dont j’ai parlé dans deux précédents articles. Remplacé déjà deux fois, le modèle existe toujours, mais a perdu sa personnalité et son positionnement. Aujourd’hui ce sont les DACIA qui assurent, sans gloire ni sympathie particulière, le rôle de voiture basique à tout faire. A elles seules, elle garantissent 1/3 des ventes de la multinationale RENAULT-NISSAN, affichant un record de 10% de marge opérationnelle, et c’est surtout les voitures les plus vendues aux particuliers en Europe ! Preuve qu’il y a une place énorme et très rentable sur le marché pour des produits plus basiques. Des concurrents s’y sont essayé avec moins de bonheur, car leur image de marque ne s’accommode pas de la simplicité revendiquée. Ce n’est pas le cas des petites FIAT, qui restent parfaitement légitimes en entrée de gamme, pourvu qu’elles soient sympathiques comme l’actuelle 500.
FIAT célèbre son 120ème anniversaire au salon de Genève avec ce prototype, qui annonce la future nouvelle Panda, en mode électrique. Le plein d’innovations et de trouvailles ingénieuses et un design très italien !
A l’heure de la conversion imposée de l’automobile à la propulsion électrique, la question du poids se pose à nouveau de façon cruciale et invite à réinventer un véhicule essentiel. Le concept-car Centoventi, qui annonce la prochaine Panda, essaye de réintroduire simplicité, jovialité et praticité, tout répondant de manière moins sophistiquée, plus modeste et finalement plus intelligente que toutes les autres, à l’objectif de la propulsion électrique. Espérons qu’elle tienne ses promesses !