«La voiture à vivre» c’était le slogan de Renault dans les années 90. Hélas, à cette époque, à part l’Espace, on ne peut pas dire que la gamme Renault représentait exactement ce slogan, qui paraissait un peu usurpé. C’est pourtant la philosophie qui sera adoptée par la Twingo, et qui assurera son succès.
La célèbre pub des voitures à vivre Renault et sa musique de Robert Palmer, restées dans les annales de la marque…
Le plein d’équipements
Une large part de l’avantage financier obtenu grâce à la version unique et au «design-to-cost» sera réinvestie dans l’équipement de la voiture. Par conséquent, une bonne partie de ce qui était en option sur ses concurrentes se trouve ici en série : boîte 5 vitesses, lave-glace arrière, pendule, allume-cigares, compteur kilométrique totaliseur partiel, essuie-glace intermittent, appuie-têtes avant, rétroviseur conducteur réglable de l’intérieur, bouchon d’essence fermant à clef, cendrier arrière et même une alarme sonore d’oubli des phares. Et grâce aux négociations avec les fournisseurs, l’ajout d’équipement en série ne faisait pas forcément monter le prix : le miroitier a proposé à Renault de ne livrer qu’une seule sorte de vitres, teintées, pratiquement au même prix que les glaces claires, en jouant sur le volume produit et la simplification des approvisionnements.
Mais on va surtout ajouter des équipements qui renforcent la personnalité et les avantages de l’auto, pour les rendre déterminants face à la concurrence : un compteur à affichage central digital pour dégager l’espace sur la planche de bord, une fonctionnalité arrière sophistiquée (permettant de privilégier plus ou moins le coffre, par rapport aux passagers arrières), une plage arrière solidaire du hayon et non des sièges pour dégager l’accès au petit coffre. Et une manette pour déverrouiller très facilement les sièges avant depuis les places arrières, ce qui est tout aussi rare qu’agréable ! Dommage qu’il ait fallu pour cela subir pendant une année de production la pingrerie d’un coffre qui ne s’ouvre qu’avec la clef de contact…
En résumé, le choix industriel risqué d’une version unique, se révèle un atout déterminant, car il rend obsolète la notion de choix, puisqu’on trouve en série sur la Twingo tout ce qui, chez ses concurrentes, était en option ou sur des finitions coûteuses. Une stratégie copiée sur les Japonais, passé maîtres dans le «design-to-cost» et le management-qualité depuis bien longtemps.
La véritable « voiture à vivre »
La Twingo a tout d’abord dérouté la clientèle par sa silhouette «monocorps», inconnue à ce niveau de gamme, en Europe à cette époque-là. Mais l’Espace était passé avant elle depuis 1984, et le grand public avait appris à apprécier les avantages de cette sorte de carrosserie. Il fallait simplement dépasser l’aspect extérieur et entrer dedans pour apprécier l’espace habitable et la vue panoramique. La toute première vidéo de la Twingo, diffusée avant sa sortie officielle, le disait très justement : essayez-là, vous serez convaincus ! Il suffit en effet de s’asseoir dedans pour être séduit : plus large et nettement plus haute que la Clio, avec un grand espace devant le conducteur et le passager, la Twingo met à l’aise. Et en montant à l’arrière, on est carrément stupéfait : banquette reculée à fond (elle est montée sur glissière, une rareté encore aujourd’hui), on a plus d’espace pour les jambes que dans une R25. Royal ! De plus, le design intérieur a été accordé à l’extérieur, avec des formes agréablement arrondies, un tissus chatoyant très typé « 80’s », des éléments en plastique vivement colorés, contrastant avec les garnitures uniformément grises (pour des raisons de prix) et des détails amusants comme le signal de détresse en forme de nez de clown, trônant en plein milieu de la planche de bord.
Sur la route, la Twingo achève de convaincre et démontre qu’elle est une vraie voiture, malgré ses allures de gros jouet. Elle est nettement plus homogène que ses rivales, qui sont des autos situées plus haut en gamme, mais dépouillées de leurs prestations techniques pour être vendues pas cher. La tenue de route est aux standards Renault, le confort très satisfaisant, les performances un peu au dessus de la concurrence grâce à une cylindrée supérieure (1239 cm³, alors que les concurrentes disposent de 900 à 1100 cm³), le silence relativement appréciable, seul le freinage est un peu juste sur sol mouillé. Avec une silhouette sympathique et des prestations largement à la hauteur d’une citadine et même des prétentions péri-urbaines évidentes, la Twingo a tous les atouts pour réussir son pari !
Les conséquences inattendues d’un succès paradoxal
La Twingo sera un très grand succès puisqu’elle se vendra à 2,4 millions d’exemplaires, durant un carrière européenne exceptionnellement longue : 14 ans ! Les pays du Nord et ceux du Sud ne l’achèteront pas beaucoup, car elle ne fait pas assez « sérieuse » pour les uns et pas assez « virile » pour les autres. Imaginée pour les jeunes et pour une clientèle branchée voire décalée, elle sera finalement achetée (surtout en France) par des femmes et des retraités, qui l’utiliseront comme voiture urbaine. Elle sera boudée par les jeunes, qui à cette époque attachaient encore beaucoup d’importance au statut conféré par une première voiture, ce qui n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui. Enfin, les gestionnaires de flottes de voitures de location ou d’entreprises lui assureront un succès inattendu : simple, fonctionnelle, économique à l’achat, au quotidien comme en entretien, c’est tout ce qu’ils cherchaient. Les administrations, patriotiquement attachées à Renault, vont lancer le mouvement : les routes françaises vont voir passer des Twingo oranges pour les DDE et bleues pour EDF. Du coup les entreprises privées vont réclamer des Twingo « société » blanches : exactement ce dont le Design ne voulait surtout pas ! Mais le Marché ayant toujours raison, la Twingo va donc sortir en blanc, d’abord en version « société », puis, cédant à la demande des acheteurs, en version courante, une teinte qui se vendra d’ailleurs fort bien ! Le marché réclamant également plus de luxe, une boîte de vitesse automatique et encore plus d’équipements de confort, la Twingo va se décliner au fil de ses «collections» en plusieurs versions et même… plusieurs motorisations ! Bref, après quelques années de carrière, il ne reste plus grand chose du positionnement initial de la Twingo : de décalée, elle ne va cesser de rentrer dans le rang sous la pression du marché, jusqu’à devenir un modèle… comme les autres !
Mais elle va avoir une descendance inattendue. Fin 1997, Louis Schweitzer, le remplaçant de Raymond Lévy, annonce que Renault se lance dans la création d’une voiture qui sera vendue 5000 euros seulement. Le rachat de DACIA, ancienne filiale turque de Renault, devenue indépendante, offre des possibilités industrielles pour mener à terme ce projet, qui deviendra la désormais mondialement célèbre Logan. Conçue suivant la même méthode, mais poussée plus loin et avec des volumes de commercialisation plus importants et un positionnement radicalement différent, elle s’avèrera un succès mondial stupéfiant : plus de 15 fois son objectif initial ! Révélant par la même occasion, l’existence d’un marché mondial d’entrée de gamme, moyennant des déclinaisons spécifiques d’un pays à l’autre. De cette voiture descend la gamme « Entry » de Renault, vendue en France sous la marque DACIA, qui assure l’essentiel de la croissance du groupe Renault-Nissan depuis cette époque, et sans laquelle Renault ne serait peut-être plus là aujourd’hui. En effet, cette gamme est très profitable, ce qui prouve que « bas de gamme » et faibles marges ne sont désormais plus synonymes.
Quant au designer de la Twingo, Jean-Pierre Ploué, il est aujourd’hui à la tête du style du groupe PSA et il est notamment l’auteur de toutes ces Citroën récentes qui ont relevé la marque de ses cendres. Son ancien patron, Patrick Le Quément, auteur notamment du style des Mégane (dont la première Scénic) et Laguna, a été viré récemment après des années de combats perdus, qui ont entrainé Renault là où l’on sait, malgré des produits techniquement aboutis et commercialement très bien vendus. Yves Dubreil a fini sa carrière chez Renault comme chef de projets des gammes moyennes et supérieures. Dont on ne peut pas dire qu’elles ont été un franc succès commercial…