SAAB 9000 Turbo 16 – L’excellence scandinave

Si la France, l’Italie, l’Allemagne, le Japon ou les Etats-Unis sont connus du grand public pour leurs automobiles, ce n’est pas le cas de la Suède, plus célèbre pour son design et ses beautés froides. Pourtant c’est le berceau de deux marques fameuses, très appréciées des amateurs de bagnoles distinguées : Volvo et SAAB.

Toute la rigueur de l’hiver suédois dans une voiture : la série 240. Indestructible, malgré son moteur… Français !

Au début des années 80, ces deux marques produisaient des modèles originaux, voire carrément décalés, largement diffusés en Europe et aux Etats-Unis. Autant les Volvo étaient techniquement archaïques et dessinées à la hache, autant les SAAB étaient sophistiquées dans leur conception comme dans leur design. Toutes étaient construites avec un soin méticuleux, ce qui leur conférait une solidité hors-pair, à même de résister aux rudesses du climat suédois, comme de protéger leurs occupants des accidents les plus graves.

L’archétype de la SAAB : la 900 Turbo, un vrai avion de chasse !

Volvo produisait des camions et toute une gamme d’autos, de la voiture urbaine à la limousine. Le groupe SAAB-Scania produisait également des camions (sous la marque SCANIA), mais aussi des avions, d’où son nom : Svenska Aeroplan Aktie Bolaget, société par actions d’aéroplanes suédois. Un peu accessoirement, SAAB produisait des autos, depuis la fin de la guerre. D’abord des petites voitures, qui ressemblaient à des avions sans ailes posés sur roues. Puis des modèles de plus en plus grands (90, 99, 900). A la fin des années 70, SAAB songeait à produire un modèle haut-de-gamme, pour concurrencer les grosses Volvo qui se vendaient très bien, mais aussi les leaders de l’époque : Mercédès et BMW.

La bande des quatre

Pour compenser leur petite échelle industrielle, Volvo et SAAB se sont trouvés des partenaires plus puissants, hors de Suède : Volvo a travaillé avec Renault dès les années 70, sur la sécurité et les moteurs. La collaboration étant fructueuse, ils ont même failli se marier. De son côté, SAAB a fait jouer son réseau aristocratique : la famille Wallenberg, la plus riche et la plus influente de Suède depuis des générations, possédait le groupe SAAB-Scania et fréquentait la dynastie Agnelli, propriétaire du groupe FIAT. Tout naturellement, les deux familles en vinrent à parler de leurs ambitions industrielles en haut-de-gamme : FIAT devait à cette époque renouveler son Argenta, Lancia sa Gamma et SAAB voulait un modèle au-dessus de la 900. Un accord est signé en 1979 pour la conception d’une famille de trois modèles, partageant, en principe, le soubassement, l’essentiel de la mécanique et environ 75 % des éléments de carrosserie, tous dessinés par Giorgetto Giugiaro. En 1981, alors que des prototypes du modèle Lancia tournent déjà, le triplet est rejoint par Alfa-Roméo, qui n’arrive pas à financer le remplacement simultané de l’Alfa 75 et de la grosse Alfa 6, deux projets qui ont pourtant déjà donné lieu à divers prototypes, dont certains roulants, fort avancés et très séduisants. Alfa finit par être racheté par FIAT, juste avant la sortie de la 164, issue de leur collaboration !

De ce ménage à quatre naîtront par conséquent quatre voitures, dont les destins seront très différents :

LanciaThémaLa Lancia Théma, une berline haut-de-gamme un peu banale, née en 1984, restée fameuse essentiellement pour la puissance et l’économie de sa version Turbo Diesel, l’une des meilleures au monde à l’époque. Une motorisation qu’elle a contribué à légitimer en haut-de-gamme, mais sans parvenir à l’objectif qui lui était assigné : redorer le blason de Lancia, marque luxueuse et récemment disparue du groupe FIAT.

FiatCromaLa FIAT Croma, sage berline de grande diffusion née en 1985, située plus bas en gamme, trop basique à tous égards pour avoir laissé un quelconque souvenir, sauf aux spectateurs du Tour de France, dont elle fut longtemps la voiture officielle !

Saab9000T16La SAAB 9000, née en 1986, la plus originale des quatre, alors qu’elle n’est pas italienne ! On admirera au passage le talent du bureau de style Ital Design et de son patron Giugiaro, pour produire trois modèles très différents sur un même châssis et avec les mêmes portières. 

Alfa164La très belle Alfa 164, née en 1987 alors que le divorce de la bande des quatre était déjà consommé. Elle est restée célèbre notamment pour ses fabuleux moteurs, merveilleux instruments de musique automobile. Sa carrosserie est dessinée, comme toutes les autres Alfa de l’époque, par Pininfarina et non Giugiaro, sans réutiliser les portières de ses trois soeurs, mais en s’inspirant des précédents prototypes Alfa. Son positionnement sportif au sein du groupe FIAT réduira sa diffusion, à une époque où les berlines haut-de-gamme devaient avant tout faire valoir leur statut.

Le mariage SAAB – FIAT fut prolifique, puisqu’il a donné naissance à une génération de voitures exceptionnelles, avec un vilain petit canard : la FIAT. Mais ce fut un mariage houleux : ce n’est pas parce que les familles propriétaires s’entendaient bien que les cultures d’entreprises s’accordaient. Celle de SAAB, issue de l’aéronautique, était sophistiquée et exigeante. Celle de FIAT et consorts toute latine : beaucoup d’esbroufe et de la belle mécanique, pour pas trop cher. Le désaccord a commencé par le châssis : paradoxalement, comme Volvo, SAAB en tenait pour un essieu arrière rigide avec une barre Panhard, alors que FIAT voulait des roues indépendantes. Ensuite la caisse devait passer les crash-tests américains pour SAAB, alors que FIAT se contentait des normes européennes, bien moins exigeantes à l’époque. Et finalement les choix motoristiques différaient complètement : FIAT défendait les sublimes V6 italiens alors que SAAB voulait imposer son 4-cylindres suralimenté. Finalement, seule une douzaine de pièces de carrosserie seront communes (pavillon, pare-brise, portières, tablier, rétroviseurs…) alors que l’Alfa partagera uniquement le soubassement : le divorce était consommé, avant même la sortie des modèles concernés !

La carrozzeria italiana

Saab_9000Dans l’univers du haut-de-gamme des années 80, les berlines ont une malle arrière : le hayon est banni car il porte encore en lui une connotation « utilitaire », contradictoire avec l’image statutaire. Or, pour des raisons d’aérodynamisme, liées à sa culture aéronautique, les SAAB ont toujours eu un hayon, qui leur donne une forme fuselée. Alors que la Théma et la 164 sont des berlines 4 portes, la SAAB 9000 a par conséquent cinq portes, avec de surcroît un arrière très vitré, à l’instar de la Renault 25 sa concurrente, dont je parlerai dans un prochain article. Mais si la 25 était longue, fine et aérienne, la 9000 est plus ramassée et très tôlée. Elle est en effet dessinée par Giugiaro, dont les créations (la plus connue étant la première Golf) se distinguent par une ceinture de caisse haute et une partie supérieure peu vitrée. Une tendance devenue universelle 30 ans plus tard, pour des raisons de résistance aux crash-tests et d’image de solidité – en réaction à une transition de civilisation inquiétante, au tournant du siècle. La SAAB 9000 ne se contente pas d’évoquer la robustesse, avec ses volumes bien remplis, son avant particulièrement massif et son arrière rebondi, elle est solidement construite, ce qui explique les kilométrages exceptionnels qu’elle atteint (couramment 300.000 !), dans un état de fraîcheur étonnant. On reconnaît sans peine la « patte » de Giugiaro dans le dessin des portières, partagées par la FIAT et la LANCIA et qui ressemble très fort à celles d’une UNO, autre grand succès de FIAT, dont je parlerai également dans un prochain article. Celles de la SAAB ont en plus des barres de renfort anticollision, une technique très rare en Europe à l’époque, mais aujourd’hui généralisée.

Beauté intérieure

En bonne suédoise, la SAAB cache derrière une apparence robuste, quoique élégante dans ses proportions comme dans ses détails, un vrai sens du confort et du design, très au-delà de ce qui se voit à l’époque chez ses concurrentes. A commencer par une superbe sellerie reprise de la 900, avec des sièges avant intégraux, ce qui est rarissime à ce niveau de gamme. Ils se règlent bien entendu en hauteur, mais on peut aussi régler le maintien lombaire (relativement courant à l’époque, en haut-de-gamme) et, plus rare, la longueur d’assise. Les ceintures de sécurité sont fixées directement sur l’assise et leur extrémité supérieure est réglable en hauteur. Enfin le volant est réglable dans les deux plans (hauteur et profondeur) ce qui est rare à cette époque. Tout ceci permet une position de conduite sur-mesure, parfaite notamment pour les grands gabarits scandinaves.

L’intérieur de la SAAB 9000 : un salon sur roues.

Le magnifique tableau de bord, d’un design épuré, entoure le conducteur dans un arc de cercle. L’organisation des commandes tout autour du pilote, comme leur maniement très intuitif, est un modèle d’ergonomie, chose rare au début des années 80, mais qui s’explique par l’expérience acquise par SAAB dans sa branche aviation. Pour éviter de distraire le conducteur, les voyants d’alerte ou de contrôle ne s’allument qu’en cas de besoin. Le reste du temps, le fond du tableau de bord est noir. Les finitions sont impeccables, avec des tolérances de fabrications très faibles pour l’époque, encore au niveau de ce qui se fait couramment aujourd’hui en haut-de-gamme. L’équipement est pléthorique et encore parfaitement d’actualité 30 ans plus tard, pour une berline de ce standing. Comme toutes les voitures venues du Grand Nord, elle est notamment équipée de raffinements destinés à survivre sous des températures extrêmes : climatisation automatique (très rare à cette époque), sièges chauffants autonomes, rétroviseurs dégivrants, coquilles protégeant les étriers de freins de l’accumulation de neige etc… Seuls les gadgets électroniques issus du monde de l’informatique manquent à l’appel, mais il y a déjà un ordinateur de bord multifonctions, heureusement dépourvu de la synthèse vocale, qu’on entend pérorer dans les voitures concurrentes…

Le moulin suédois

SaabMoteurTurbo16Mais le morceau de choix de cette voiture c’est son moteur atypique et très en avance sur son temps. En haut-de-gamme, la clientèle de l’époque ne jure que par la « noblesse mécanique », une valeur historique aujourd’hui oubliée, fondée sur la musicalité et l’onctuosité de multiples cylindres (de préférence en Vé) et l’alimentation naturelle, moyennant éventuellement la multiplication des corps de carburateurs. Rien de tout cela sur la SAAB, qui anticipe les solutions techniques qui seront monnaie courante 30 ans plus tard. Pas de 6-cylindres en Vé, mais un 4 cylindre dont les lointaines origines remontent à un demi-V8 Triumph des années 60 ! Avec une étrange particularité: la boîte de vitesse n’est pas en bout de bloc-moteur mais en-dessous. L’ensemble est donc très haut, ce qui a imposé une ceinture de caisse élevée. Cette mécanique fort roturière, à la sonorité très ordinaire, est transfigurée par la greffe de dispositifs techniques sophistiqués, à la pointe de l’innovation : une culasse à 16 soupapes, à double arbre à came en tête (et poussoirs hydrauliques), un turbo à faible temps de réponse, un échangeur air-air, une injection électronique Bosch dernier cri, et une détection électronique de cliquetis, couplée à la gestion de pression du turbo, permettant de rouler avec n’importe quel type d’essence : un dispositif unique au monde. Cette débauche technique, est exceptionnelle pour l’époque : en Europe, seule une 205 de compétition possède à la fois un turbo ET une culasse 16 soupapes. Ce qui permet au vieux moulin de délivrer 175 chevaux très vivants et un généreux couple de 27,8 mKg dès 3000 tr/min, qui confère à la voiture une grande souplesse d’utilisation à bas régime et la rend placide en ville comme sur autoroute, mais aussi capable de vous expédier à plus de 200 en un clin d’œil !

Saab9000écorché

Ecorché de la Saab 9000 Turbo 16. On remarque le moteur transversal, largement incliné vers l’avant pour passer sous le capot, les barres de renfort des portières et… l’essieu arrière rigide, un archaïsme partagé avec Volvo.

Pour emmener tout ça, le châssis se révèle convainquant. Contrairement à la plupart des berline de l’époque qui sont chaussées en 14 pouces, la SAAB a des grandes roues de 15 pouces, ce qui lui permet de mieux passer tous ses chevaux par les seules roues avant, alors que quasiment toutes ses concurrentes à ce niveau de puissance sont des propulsions. Que ce soit au niveau du moteur, de l’insonorisation comme du châssis, le travail effectué est remarquable, à tel point qu’à 220 km/h maxi, la voiture semble se promener tranquillement : une vraie grand tourisme !

Petite curiosité : un acrobatique ballet automobile, orchestré (à la clef de 12 !) sur un pot-pourri de « tubes » classiques, afin de démontrer la tenue de route et la remarquable maniabilité de l’auto. Evidemment, les voitures sont livrées par un camion Scania et ça se passe sur une piste d’aviation, histoire de rappeler que SAAB ne fait pas que des autos. Et toutes ces figures sont exécutées sans le secours de l’ESP, sans antipatinage, sans contrôle de traction électronique, sans amortissement piloté, sans ABS (sur ces premiers modèles) et avec un essieu arrière rigide : chapeau les artistes ! En «guest-star», on appréciera la Saab 900 cabriolet, indémodable voiture de Grand Tourisme et accessoirement must-have pour bobos…

Sic transit gloria mundi…

Hélas, la 9000 ne suffira pas à maintenir Saab dans l’isolement, vu que la synergie avec FIAT avait fait long feu. Lorsqu’il s’agit de remplacer à la fois la 900 et la 9000, il fallut se résoudre à vendre la division auto à General Motors. Le groupe américain, empêtré dans ses innombrables marques un peu partout sur la planète, voulait faire de Saab son haut-de-gamme en Europe, Opel assurant la grande diffusion courante. Sauf que pour y parvenir, il s’est contenté de rhabiller à la suédoise des châssis et des moteurs Opel. La 9000 est donc la dernière VRAIE Saab. Grave erreur : la marque y perdait son excellence technique, qui faisait, au-delà de l’originalité esthétique, l’exclusivité de ses modèles. Que serait une BMW sans ses moteurs et ses suspensions, ou une Mercédès construite sans soin particulier ? Bien peu de chose : les ventes ont décliné et lorsque « la crise » a atteint GM et qu’il a fallu faire des choix cornéliens, dans l’extrême urgence, pour éviter à tout prix une imminente faillite mondiale, c’est Saab qui a été sacrifiée, alors que son nouveau modèle, la très prometteuse 9.5, lointaine descendante de la 9000, était à peine sortie. Néanmoins, l’Etat suédois a conservé la distribution des pièces de rechange, ce qui permet d’envisager de rouler Saab encore quelques années. Un obscur groupe financier a racheté la marque, mais sans la 9.5, que GM a refusé de vendre, passant la voiture par pertes et profits, ce qui est tout simplement stupéfiant, vu le coût de développement d’un modèle aussi spécifique. Actuellement ces investisseurs chercheraient à vendre la marque à d’autres, on peut donc légitimement redouter qu’apparaissent prochainement des Saab chinoises, comme on y trouve déjà des Rover 75 de pacotille… Une chose est certaine : les VRAIES Saab doivent être collectionnées d’urgence, car elles seront, à n’en pas douter, un des « must-have » du 21ème siècle et font déjà fureur auprès des bobos.


Et maintenant, travaillez vos langues étrangères : voici l’histoire de la naissance de la 9000, racontée… en Allemand. Outre la musique démodée et les 20 secondes de noir au début, vous remarquerez les outils de l’époque : la CAO naissante, mais surtout du papier, des crayons et ni internet, ni téléphone portable : mais comment faisaient-ils ?

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